Les noces de fer
froid…
Le froid n’était pas seul en cause : s’il avait délivré Blandine, s’il l’avait conquise et de sa dextre emprisonnait son sein, il ne pouvait se libérer d’une crainte différente de celle qu’il avait éprouvée dans le souterrain – ou qui n’était peut-être que sa conséquence : quel serait leur devenir en ce royaume que les Anglais, d’incursion en incursion, saignaient aux quatre coins pour que, affaibli, incapable du moindre sursaut protecteur, il tombât au pouvoir d’Édouard ou de son fils ?
— Près de vous, je n’ai nulle crainte.
— Je vous protégerai toujours, ma bien-aimée.
Ainsi, sa tête pâle, exquise, aux creux de son épaule, ses tresses effrangées chatouillant ses narines, abandonnée, repue d’émois, à la fatigue, au réconfort, à la tendresse, Blandine semblait plus que jamais accessible au désir qui fermentait en lui. Attendre… Attendre alors que s’ils avaient été seuls, même menacés comme maintenant…
— Oyez, messire, dit Tinchebraye. Il semble bien que les démons donnent l’assaut.
Assourdis par l’éloignement, des hurlements perçaient le silence tandis que des embrasements répandaient au-delà des murailles parfois visibles, leurs écheveaux fumeux ondés d’or et de pourpre. Les Goddons, autour du feu, s’étaient tus ; tous devaient se féliciter de se trouver hors de cette bataille dont les relents les atteignaient aussi. Blandine avait joint ses mains ; sa mère se signa. Joubert saisit un des bissacs, Tinchebraye l’autre ; Ogier ceignit en bandoulière la gibecière aux victuailles.
— Allons-y, dit-il, l’épée dans sa dextre, sa senestre serrée sur la hanche de Blandine. Quittons doucement cette enceinte…
Joubert les précéda, Tinchebraye assurant l’arrière.
— On aura du mal, dit le pennoncier, à reconnaître le bosquet où nos compagnons nous attendent.
— Et s’ils s’étaient fait surprendre et occire ?
— Cessez de paroler ! souffla Ogier. Tout ira bien. Nous serons vers midi à Chauvigny. Je crois que les Goddons n’iront pas. Aux dernières Pâques, Chandos a vu cette cité, ses châteaux, ses murailles, et aussi Calveley avec lequel je me suis enfui du donjon d’Angle… Oui, dame Berland : j’ai aidé cet Anglais autant qu’il m’a aidé… Je puis même affirmer que sans lui, je serais mort… Une amitié nous lie, au-dessus de toutes ces haines…
— Un Goddon !
— Il sert son roi, je sers le mien.
« Et je serre à nouveau le sein de ta pucelle ! Elle y consent !… Tu dois, dame, être scandalisée ! »
— Il se peut, Blandine, que je vous abandonne de temps en temps lorsque vous serez en sûreté à Chauvigny. J’ai promis mon aide à Benoît Sirvin, et je tiens toujours mes engagements.
— Vous avez des amitiés… pendables, messire : un Anglais et ce mire dont on dit qu’il est un sorcier !
« Allons, bon !… Elle n’a pas craché : “ qu’il était du Temple”… Dois-je lui répondre ? » Ogier se détourna :
— Pour ceux de Chauvigny et des cités voisines, la sorcellerie de Sirvin a bien du mérite… Ses prouesses valent mieux, sans doute, que celles d’un chevalier. Il ne commet nulle occision, nulle navrure : il soigne et guérit… Je puis témoigner devant Dieu que sans des sorcelleries qui sont à l’honneur de cet homme et dont la simplicité vous merveillerait, je n’aurais plus qu’une jambe… Et voyez, car la nuit devient plus légère : votre pucelle est serrée contre moi. Elle n’a bu aucun breuvage magique de ma composition – ou de celle de Sirvin – pour m’accorder sa foi !
Il surprit la lueur d’un sourire sur le visage de Blandine et pressa légèrement sa taille tandis que le pourpoint dont elle était vêtue lui paraissait d’une rudesse inconvenante. « Isambert nous mariera ! » Tout lui semblait aisé. Son cœur devait battre aussi fort que celui de la pucelle. Devant, Joubert s’arrêtait de plus en plus souvent, cherchant vainement, semblait-il, la voie à prendre ; mais ce fut Tinchebraye qui le premier vit dans un creux quelques chariots, deux ou trois chevaux et des bœufs à l’attache. Il fallut lâcher Blandine et d’un geste amener Tinchebraye en avant :
— Contournons-les de loin !
Suivis de dame Berland, plus proche que sa fille, ils avancèrent à nouveau dans l’angoisse, le dos courbé, allant de buisson en buisson, de boqueteau en boqueteau et
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