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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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femme : l’orgueil de son conjoint l’avait contaminée. Il se réjouit que Blandine en fut dissemblable.
    Pendant deux cents toises au moins, les arbres devinrent rares, mais des rochers ceints de broussailles offraient de bons abris. Il fallait garder les yeux grands ouverts pour ne pas choir ou s’égarer dans les brumes enténébrées où s’empêtrait, frileux, le jour à naître.
    — Si nous ne les retrouvons pas bientôt, dit Joubert, l’aube crèvera et nous devrons passer la journée sous quelque ramée !
    — Nenni ! dit Tinchebraye. Voyez ces trois grands fantômes pointus comme des clochers… Je n’ai fait qu’y penser : voilà notre bosquet !
    Avançant à grands pas, sans même se courber, ils parvinrent en lisière des arbres. Deux hommes jaillirent d’un fourré, la guisarme menaçante, puis s’ébaudirent.
    — Vous avez réussi ! s’étonna Delaunay en soulageant Joubert de son bissac.
    — Hé oui !… Prend ça, Gardic, dit Tinchebraye. Savez-vous, dame Berland, que ce fardeau commençait à peser… Je suis sûr qu’il contient trente poignées d’écus !
    — Cela m’étonnerait, glissa Blandine à l’oreille d’Ogier. Nous sommes dans la gêne.
    Il n’en fut point ébahi : lorsqu’il l’avait retrouvée, après qu’il eut été guéri de sa jambe rompue, l’hôtel Berland, sans lui paraître en fort mauvais état, lui avait semblé souffrir d’un manque de soins. Il s’en réjouit : Blandine saurait apprécier Gratot qui, lui, se guérissait de la violence des hommes.
    — Les chevaux sont-ils prêts ?
    — Oui, messire. L’aurore va crever, nous désespérions de vous revoir, mais nous avons tout de même préparé les chevaux.
    Un homme sortit du couvert des arbres : Bazire.
    — Voyez, dit-il, cette pauvre cité.
    Poitiers résistait toujours, mais dès que le jour poindrait, les échelades et les brèches dans les murailles permettraient aux Anglais d’assouvir leur vengeance. Le grand treu [54]  commencerait. Ogier enveloppa l’épaule de Blandine. Ils entendirent un sanglot retenu et se détournèrent. Ogier fut saisi de pitié :
    — Je suis plein de compassion pour vous, dame Berland, quelque inimitié que vous ayez pour moi… voire quelque aversion… Vous voilà sauve, et je fais des vœux pour que ces malandrins épargnent votre hôtel et que si votre époux et votre fils sont toujours vivants, ils les épargnent également.
    La femme éplorée fit front. Ogier découvrit dans son regard mouillé une détermination singulière.
    — Vous ne pouvez savoir ce que c’est que tout abandonner… tout perdre…
    — Oh ! si, dame… Tout abandonner, tout perdre… jusqu’à son honneur et son nom…
    Il fut ébahi que Blandine n’eût été prise d’aucune compassion pour le chagrin de sa mère. Il ne paraissait pas, pourtant, qu’elle eût le cœur froid. Il la considéra, couverte du fin brouillard pareil à une poudre de fer collée à ses vêtements, et se merveilla de découvrir sur ses traits pourtant flous de fatigue et de bruine, des charmes neufs et des finesses inconnues : ce grain de beauté juste au-dessus de son œil dextre, cette tendre nacrure que les larmes retenues ajoutaient à l’émail de ses yeux, cette fossette sur la joue tandis qu’elle mordillait ses lèvres – de faim ou d’émoi – et cette frange de cils dorés qui parfois dérobait son regard, comme si elle voulait pour lui seul, Ogier, et le plus longtemps possible, demeurer une énigme. Tout proches, les soudoyers écoutaient Joubert et Tinchebraye qui, après avoir lié les bissacs et la gibecière aux troussequins des selles, racontaient leur commune aventure.
    — Nous revenons à Chauvigny, messire ? demanda Bazire.
    — Oui. Dame Berland y possède un logis ; elle y sera en sûreté avec sa fille, et vous veillerez sur elles au cas où je devrais m’absenter.
    — Vous absenter !
    C’était un cri de réprobation plus encore que de surprise. Ogier serra Blandine contre lui et, ses yeux dans les siens :
    — M’absenter quelque temps au cours d’une journée, rien de plus. J’ai promis mon aide à Benoît Sirvin sans savoir ce qu’il me demanderait… Je ne puis me parjurer… C’est grâce à sa clergie [55] que j’ai conservé cette jambe que Guichard d’Oyré, ce porc, m’avait brisée. M’amie… ma parole de chevalier et la dette que j’ai envers cet homme me font obligation d’agréer ce qu’il me demandera,

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