Les porteuses d'espoir
employeur avait également décidé de prendre à son service Gros
Jambon. Les trois bûcherons attendirent, debout devant la cabane en bois ronds,
que le snowmobile ait disparu de leur vue. En silence, ils chaussèrent
leurs raquettes, mirent leur sac à bagages sur leur dos et partirent en
direction d’un sentier dans la forêt. Gros Jambon connaissait le chemin qui les
mènerait à Normandin. Il ouvrit la marche. Pierre lui emboîta le pas, suivi de
son ami Roger. La température de cette fin d’hiver était agréable. Pierre
pensait à sa famille. Il devait se résoudre à ne pouvoir retourner à
Saint-Ambroise. Le cœur serré, il chercha réconfort dans la beauté de la nature.
Il suivit des yeux la piste d’un lièvre qui zigzaguait entre les arbres. Le
soleil, devenant de plus en plus haut dans le ciel, ajouté à l’effort de la
marche, le mit rapidement en sueur. Il défit les premiers boutons de sa veste à
carreaux. Comme ses pantalons, elle était confectionnée à partir de laine
bouillie et foulée, ce qui rendait ses vêtements imperméables ettrès chauds. Au début, Gros Jambon les laissa relativement tranquilles. Il se
pavanait, fier comme un coq d’être le guide de cette expédition. Il se sentait
important d’avoir à mener ces deux blancs-becs.
— On va contourner le petit cran pis on va avancer vers l’est un peu,
annonça-t-il.
— Es-tu ben certain de ton affaire ? demanda Roger d’un ton craintif.
Il était un gars du bord du fleuve. Il se sentait à l’aise dans les grands
espaces découverts avec la vue sur l’horizon. Dans son village, les points
cardinaux ne jouaient jamais à se dérober sous le couvert des arbres.
— Le Picoté a peur de se perdre dans le bois ? Pauvre p’tit, répondit Gros
Jambon. Suis comme du monde pis je vas vous mener en ligne drette.
Pierre et Roger n’avaient guère d’autre choix que de faire confiance à leur
guide. Pour se rassurer, les deux amis se mirent à converser et à blaguer.
Depuis qu’ils avaient fait plus ample connaissance à Noël dernier, ils étaient
devenus les meilleurs amis du monde. Pierre avait fait connaître à Roger sa
cachette dans le creux du rocher. Ils y avaient partagé des secrets. Pierre
avait raconté ses mésaventures et le drame de l’incendie. Il avait montré ses
cicatrices sur ses jambes. Roger lui avait confié sa vie de fils de pêcheur. Il
lui parlait beaucoup de sa jeune sœur, celle qui lui écrivait régulièrement.
Pierre en était venu à la connaître et à son grand désarroi, l’image qu’il se
faisait de la jeune fille venait le hanter durant ses nuits. Lui qui voulait
devenir prêtre s’en voulait énormément de se laisser aller ainsi pendant son
sommeil. Cela, il n’en avait soufflé mot à son ami. Souvent, Chapeau venait se
joindre à eux dans les bois. Pierre ne manquait pas d’offrir à l’Amérindien
quelques galettes ou un morceau de pain qu’il avait gardés de son dernier repas.
Visiblement, Chapeau appréciait cescadeaux. Il ne savait
pourquoi, mais Pierre s’imaginait que puisque l’Indien était muet, il devait
mourir de faim. Pourquoi avait-il fait cette association d’idées ? C’était, pour
lui, une façon de faire comprendre au jeune garçon qu’il le protégeait et le
défendait. Roger tolérait cet échange, mais sans y participer. Sans aucune
jalousie, il respectait cette connivence entre le Sauvage et le bûcheron. Le
soir, dans le dortoir, ils passaient la demi-heure avant le couvre-feu à jouer
aux dames.
Tout en cheminant derrière Gros Jambon, sans s’en rendre compte, Roger et
Pierre se mirent à parler et à rire de plus en plus fort.
— Il doit y avoir des belles filles à Normandin, c’est comme rien ! dit
Roger.
— Belles ou pas, elles vont lever le nez sur toi certain, lui répondit
Pierre.
Ils ne réalisèrent pas que Gros Jambon avait changé d’humeur et qu’il affichait
désormais un air renfrogné. Le guide maugréait et n’en pouvait plus d’entendre
ces deux morveux ricaner comme des jouvencelles. Exaspéré, il se retourna
abruptement.
— On prend une pause, décréta-t-il.
— Déjà ? s’étonna Pierre.
— Faut pas maganer une petite nature comme le Picoté, répondit méchamment le
chef en désignant Roger du menton.
— Je suis pas fatigué pantoute, se récria celui-ci.
— Ah non ? Pourquoi tu traînes
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