Les Rapines Du Duc De Guise
bordereaux par
les trésoriers. Il suffit alors de comparer les rôles émis par les élus avec
ceux des collecteurs, ou encore avec le détail des registres des receveurs
archivés au greffe. Là sont inscrits les dates, les tailles à payer et les
paiements effectués. Une copie de ces registres est aussi envoyée au conseil
des finances et, en principe, tout ceci est archivé au tribunal de l’élection.
» Mon père avait donc commencé par ces
comparaisons, relativement simples, mais il n’avait rien découvert sinon des
erreurs et sans doute de petites fraudes, cependant sans rapport avec les
sommes disparues. Il s’était ensuite attaché à comparer les registres et les
bordereaux d’année en année, par paroisse, par élu, par collecteur et par
receveur. C’était un travail considérable car les sommes indiquées
correspondent rarement à une année entière. Les collecteurs changent aussi d’une
année sur l’autre. Il y a les délais de paiements et ceux qui paient avec
retard. Ce travail de titan a malheureusement été emporté par ceux qui l’ont
tué. Depuis un mois, avec l’aide de M. Le Bègue, nous recopions à nouveau
les rôles des collecteurs et des élus dans chaque paroisse pour examiner s’il y
a des différences. Ensuite, je compare ce que j’ai observé aux bordereaux
transmis au bureau des finances et aux sommes versées dans les trésoreries. Il
y a des centaines d’additions et de différences à faire, car les sommes sont
parfois en livres et parfois en écus ou en d’autres monnaies, ce qui ne
facilite pas les comparaisons.
— Mais si chaque année les rentrées sont
plus faibles, n’avez-vous pas cherché simplement à comparer les variations dans
chaque paroisse ?
— J’ai commencé, bien sûr, mais c’est
aussi affreusement long. La difficulté est que je ne sais pas ce que je cherche
et qu’il y a trop de possibilités, soupira Olivier. Les rôles sont remplis par
les collecteurs, mais ceux-ci sont choisis par l’intendant, ou les élus. Certains
ne savent même pas écrire et se font aider. Chacun remplit les rôles à sa
manière. Tenez, en voici un qui est complet. Il comporte quatre cents noms et
il est proprement écrit.
Il lui tendit un rôle qu’il avait copié. Le
document commençait par les noms des collecteurs et la référence au mandement
de la taille totale de la paroisse. Suivait une liste de noms avec en face le
métier, l’habitation, et, si la personne était en location, le nom du
propriétaire du logement, la liste des animaux possédés et la surface de sa
terre s’il en était propriétaire, puis la somme payée pour la taille en livres,
deniers et sols.
En fin de rôle se trouvait la liste des nobles
exemptés de l’impôt avec les mêmes informations. Il y avait sur ce document un
écuyer, un seigneur, un commis aux aides récemment anobli et deux secrétaires
du roi. Ces derniers étaient les plus riches, possédant à eux tous bien plus de
bétail, chevaux et terres que tous les autres paroissiens.
— Pour ma part, je partirais de l’idée qu’une
fraude à grande échelle ne peut se faire qu’avec la complicité de receveurs, et
plus exactement de receveurs généraux, proposa Cassandre.
— C’est possible, reconnut Olivier, déjà
découragé, mais généralement les détournements sont plutôt faits par les
trésoriers.
— Essayons mon idée, fit-elle joyeusement.
Quel est le plus important receveur des tailles de l’élection ?
— C’est M. Salvancy. Il s’occupe de
cent cinquante paroisses.
— Je suggère de commencer par lui. Prenons
les paroisses de ses collecteurs et calculons les tailles qu’il a collectées
ces trois dernières années.
Olivier soupira à nouveau. Cette façon d’agir
au hasard était contraire à tous ses principes, et à tout ce que son père et Le
Bègue lui avaient inculqué. Ils allaient perdre leur temps. Mais elle le
regarda avec tant de tendresse qu’il opina.
— Allons-y ! Le Bègue, avez-vous les
copies des registres ici ?
— Pas de tous, monsieur, mais nous avons
ceux qui ont été paraphés par les élus. Ceux-là sont certainement vérifiés.
— Ce sera donc un travail inutile, la
prévint Olivier, puisque les élus les ont contrôlés.
— Faites-moi plaisir, mon ami… laissez
faire l’intuition féminine, dit-elle avec un sourire enjôleur.
Les deux hommes commencèrent à recopier en
colonnes les valeurs des paroisses, utilisant des
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