Les révoltés de Dieu
homme emploie sa force pour y entrer. » ( T. O. B .) Autrement dit, c’en est fini du judaïsme : place au christianisme ! Il est évident qu’une
telle prétention est intolérable pour les Scribes, les Pharisiens et les
Sadducéens. Tout est maintenant joué, et la « trahison » de Judas n’est
qu’une goutte d’eau qui fait déborder le vase de la colère des officiels de la
religion. Mais cette goutte d’eau est impardonnable : Jésus a fait
alliance avec les adeptes de la religion de la Grande Déesse. C’est le suprême
sacrilège.
Alors, la « machine infernale » se met en marche. Jésus
est condamné, non pas par les Juifs mais par les Romains, non pas comme « prophète »
ou créateur d’une nouvelle religion, mais comme fauteur
de troubles . Le supplice de la crucifixion était réservé aux bandits et
aux séditieux envers l’Empire romain. Certes, certains Juifs de l’intelligentsia,
cette classe dominante qui collaborait allégrement avec les occupants romains
pour en tirer profit, ont leur responsabilité dans cette exécution capitale, mais
ils ne sont ni les seuls, ni les plus concernés : ce sont les Romains qui
ont condamné Jésus pour éviter un soulèvement général de la Palestine, et
lorsque, par la « grâce » de l’édit de l’empereur Théodose, en 382, le
christianisme est devenu la religion officielle et unique
de l’Empire romain , lorsque Rome est devenue la capitale de la
chrétienté, il a bien fallu détourner les responsabilités du supplice de Jésus
sur les Juifs. C’est là, comme l’a démontré le théologien calviniste Jacques
Ellul [154] , l’origine absolue de l’antisémitisme,
bâti sur le fait que les Juifs sont un peuple « déicide », ayant
choisi de faire libérer Barabbas et de condamner Jésus. Ainsi s’explique
aisément le sigle infamant et dérisoire placardé sur le haut de la Croix, I. N. R. I.,
« Iesus Nazoreus, rex Iudeorum », « Jésus le Nazaréen, roi des
Juifs ».
Mais il fallait que les Écritures fussent accomplies. Jésus-Dieu
devait mourir d’une façon infamante, entre deux voleurs, pour démontrer que
Dieu ne s’est jamais désintéressé du sort des humains, ses créatures à qui il a
donné la mission de continuer la création – même en agissant le septième jour, c’est-à-dire
le Sabbat . Mais cette mort du Christ ne
pouvait avoir lieu sans une manifestation dramatique de la nature :
« C’est déjà vers la sixième heure. La ténèbre survient sur toute la terre,
jusqu’à la neuvième heure. Le soleil manque. Le voile du sanctuaire se déchire
par le milieu. » ( Luc, XXIII, 44-45 .) Il
est fort possible qu’il y ait eu ce jour-là (mais on est incapable d’en définir
la date exacte) une éclipse de soleil suivie de certains phénomènes
atmosphériques, sans doute une sorte de tornade. C’est le ton de nombreux
récits mythologiques à propos de la mort d’un dieu ou d’un héros, et Plutarque
s’en fait l’écho (repris d’une façon plaisante par Rabelais dans le Quart Livre ) quand il présente une île « bienheureuse »
à l’ouest du monde, où il se produit de grands bouleversements dans l’air
lorsque disparaît une grande âme. La mort d’un Dieu est un phénomène cosmique, et
puisque Jésus était à la fois homme et Dieu, il ne pouvait en être autrement
lors de son dernier soupir. D’ailleurs le Christ lui-même avait averti ses
disciples : « Des signes seront dans le soleil, dans la lune, dans
les étoiles ; et sur la terre l’oppression des Goïm [155] ,
angoissés par le fracas de la mer et des flots. Les hommes périront et
frémiront, dans l’attente de ce qui surviendra dans le monde : oui, les
puissances du Ciel s’ébranleront. » ( Luc, XXI, 26 .)
Et tout cela rejoint les descriptions de l’Apocalypse, qui, ne l’oublions pas, est
une « révélation » de l’avenir et d’un passé dont on ne comprend
peut-être plus les détails. Dans les récits mythologiques, au sens large du
terme, la nature et le cosmos tout entier sont
liés aux actes des existants humains, et
inversement.
C’est en fait ce qu’est venu rappeler Jésus : les existants humains sont chargés de continuer la
création jusqu’à l’apparition du Royaume de Dieu. Mais ce royaume, Jésus le
répète assez souvent, n’est pas de ce monde, contrairement à ce que prétendait
une tradition hébraïque sclérosée dans l’attente d’un messianisme
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