Les Roses De La Vie
le chemin qui
traverse dans toute sa longueur Cornebouc, les fourrés qui encombrent les
sous-bois les rendaient quasi impénétrables, même aux chiens. Cependant ils
décelèrent des fientes et de nombreuses traces de pattes et découvrirent à la
parfin quelques gîtes creusés dans le sable d’un talus le long d’une ravine.
En s’approchant, les louvetiers reconnurent des repaires qui
s’ouvraient par des ouvertures quasi rondes sur des tunnels rétrécis qui, à la
lueur des torches, paraissaient profonds et sinueux. Les chiens en reniflèrent
l’entrée malodorante avec des grondements à l’infini et une excitation à la
fois rageuse et inquiète. Mais le sergent de louveterie n’en put décider un
seul à mettre dans ces logis fût-ce le bout de la patte, tant sans doute il
craignait de se jeter au détour du tunnel dans la gueule d’un loup et de
l’affronter à son désavantage, en se battant à croupetons dans un passage aussi
sombre, étroit et tortueux.
Le sergent, observant qu’il se trouvait contre le vent et
que les loups ne pouvaient le flairer, retira ses chevaux et ses chiens à une
certaine distance, puis, avec d’aucuns de ses hommes, revint aux tanières et
les enfuma l’une après l’autre. Cela fait, reculant derechef, il se mit à l’affût,
mais si longtemps qu’il attendit, il ne vit poindre ni yeux de braise, ni
mâchoire carnassière et en conclut, soit que les loups avaient déserté le logis
au premier bruit de la battue, ou que lesdits logis avaient une seconde issue,
se peut en plein milieu d’un haut fourré impénétrable dont il apercevait la
confuse masse à quelques toises du ravin. Le sergent, que cet échec parut
excessivement dépiter, conseilla quand il quitta Orbieu à Saint-Clair, non sans
aigreur, de raser les fourrés du sous-bois, faute de quoi, dit-il, même saint
Hubert ne viendrait jamais à bout de ces bêtes diaboliques. Conseil excellent,
mais peu facile à exécuter avec des manants qui, comme on sait, s’occupaient
l’hiver à de multiples travaux, afin que d’en tirer quelques sols pour payer la
taille du roi.
Tout ceci fut décrit par le menu par Saint-Clair dans sa
lettre-missive. Il ajouta in fine que dans l’incertitude où il était de
mon retour, il avait pris sur lui d’acheter une douzaine d’arbalètes, afin d’en
garnir ceux de mes manants dont les chaumines étaient les plus proches des
lisières de Cornebouc, se trouvant par là les plus exposées au tapage nocturne
des loups. Il exerçait ses manants au tir sur cible dans la cour du château et
ses recrues se donnaient peine pour progresser, tant parce qu’ils pensaient
ainsi assurer la sécurité de leurs familles que parce qu’ils se paonnaient fort
de posséder une arme qui, pour être archaïque, n’en était point moins
redoutable par son silence, sa portée et sa force de pénétration. Saint-Clair
opinait que si un manant, à partir de la fenêtre de sa chaumine, réussissait à
ficher un carreau d’arbalète dans le flanc ou le poitrail d’un des loups, ce
coup-là pourrait rabattre quelque peu l’audace de ces bêtes.
Cette lettre tant m’émut qu’après le dîner, et Mariette
retirée en sa cuisine, je la lus à haute voix à mon père et à La Surie,
lesquels, ma lecture terminée, opinèrent que la situation étant gravissime, il
fallait départir au plus tôt pour Orbieu, non sans recruter une douzaine de
Suisses après s’être bien garnis en armes et en pièges.
— Mon père m’a conté, dit le marquis de Siorac, qu’en
Périgord, l’invasion d’un domaine par une horde de loups fut si sanglante que
les manants s’ensauvèrent quasiment tous, abandonnant leurs bêtes à la furie
des assaillants.
— Mais, dit La Surie, n’y a-t-il pas danger à confier
des arbalètes à des manants qui, le danger passé, pourraient les retourner, le
cas échéant, contre leurs voisins, voire même contre leur seigneur ?
— Oui-da ! dit mon père, le danger existe. Aussi
les arbalètes ne seront-elles pas données, mais prêtées à ces bonnes gens et
reprises aussitôt qu’on se sera défait des loups. Pierre-Emmanuel, tâchez
d’avoir les mêmes Suisses que ceux qui ont abattu la girouette de Rapinaud et
prévenez-les qu’il faudra aussi prêter main-forte pour le débroussaillage du
bois.
Il nous fallut deux journées pleines pour faire nos achats.
Et c’est seulement le deux février que nous pûmes partir. Dès notre arrivée à
Orbieu,
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