Les Roses De La Vie
après lui. Et
pour l’appréciation de votre futur domaine, et des monnaies que vous coûtera sa
restauration, il vous faudra y aller très à la prudence, une patte en avant et
l’autre déjà sur le recul.
— Monsieur le Marquis, dit La Surie, il me semble que
Monsieur votre père, le baron de Mespech, n’exprimait pas un sentiment très
différent quand il aimait à répéter qu’il ne fallait pas acheter chat en
poche.
— Mon père, dit le marquis de Siorac,
connaissait grand nombre d’expressions périgordines où Maître chat
apparaissait. Je l’ai ouï dire à l’une de nos chambrières qui s’était laissé
engrosser (mais pas par lui) : « M’amie, déchiffrez-moi par le menu
par qui, quand et comment vous avez laissé le chat aller au
fromage ! »
Bien que la plaisanterie ne fût pas de celles que la
marquise de Rambouillet eût aimées, on en rit, mais non sans quelque
mélancolique arrière-goût, car nous venions d’apprendre que le baron de Mespech
était quelque peu mal allant, et surtout se retirait en soi, sans gaieté ni
gausserie, ni projet, ce qui nous parut mauvais signe, sans que nous osâmes le
dire pour ne point tenter le destin.
*
* *
La fortune voulut qu’à la date que nous avions fixée pour ce
voyage, mon père et La Surie partirent seuls pour Orbieu, munis des deux
lettres que j’ai dites, l’une pour le « rat », l’autre pour le
Séraphin, car je ne pus ce même jour que je ne partisse avec Louis pour la
Normandie avec tout son Conseil : Sa Majesté devait présider à Rouen une
assemblée de notables que les ministres barbons lui avaient suggéré de
convoquer pour tâcher de rhabiller les abus de l’État.
Pourquoi cette assemblée devait-elle se tenir à Rouen plutôt
qu’à Paris, je ne saurais dire et pourquoi l’ouverture des débats ayant été
fixée le quatre décembre, Louis partit de Saint-Germain-en-Laye le quatorze
novembre et séjourna huit jours à Dieppe, je ne saurais l’expliquer, si ce
n’est par le fait que Louis aimait passionnément voir et visiter les villes et
les peuples dont il était le roi, en cela bien différent de son fils que sa
grandeur enchaînera à Versailles.
Plaise au lecteur de me permettre, en inversant la
chronologie de quelques jours – péché véniel chez un mémorialiste –,
de toucher quelques mots de cette assemblée de notables à Rouen avant de lui
dire ce que fut le séjour d’une semaine que Louis fit à Dieppe.
Cette idée de convoquer une assemblée de notables avait
germé dans l’esprit subtil des ministres barbons, probablement parce qu’ils
désiraient marquer leur retour aux affaires par une occasion solennelle et qui
témoignerait, par la même occasion, de leur zèle pour le bien public.
Mais ils s’y étaient engagés très à la prudence, désignant
eux-mêmes les membres qui en feraient partie. Elle comprenait, en effet, outre
eux-mêmes et le Conseil, onze évêques, treize nobles et vingt-sept membres du
Tiers État, ceux-là étant choisis dans le dessus de tous les paniers :
présidents de parlements de province, présidents de la Cour des comptes,
présidents des cours des aides, tous bien garnis en prébendes, charges et
offices, ainsi que leurs fils, gendres et neveux. Le lecteur ne faillira pas
d’observer que les Barbons n’avaient rien à redouter de ces dignitaires si bien
assis et rassis dans leurs fauteuils dorés. Ces bonnes gens, en outre,
détenaient la majorité des voix, même dans le cas où la noblesse et le clergé
auraient uni les leurs.
Les Barbons firent mieux : pour éviter les mauvaises
surprises et les questions gênantes, ils se réservèrent l’initiative des
propositions. Ils arrêtèrent eux-mêmes, et eux seuls, les articles qui devaient
être proposés aux notables qu’ils avaient choisis. Bref, cette assemblée était,
je ne dirais pas tout à plein une caricature, mais une miniature quelque peu
anodine des États Généraux de 1614. Elle rassurait l’opinion sans entraîner
autant de frais que les États ni consumer autant de temps, ni risquer
d’affrontements majeurs entre les trois ordres.
Restait aux Barbons à mener à bien une délicate
opération : proposer d’abolir les abus à des personnes qui en profitaient,
mais qui n’étaient pas les mêmes dans les trois ordres. Voici comment il en
alla :
On fit plaisir à la noblesse en demandant la suppression des
lettres d’anoblissement que l’on vendait depuis
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