Les Seigneurs du Nord
le service des putains. Elles se vendent et s’achètent. (Il
attendit que je pose une pièce, bâilla, et j’en déposai une seconde.) Par où
veux-tu que je commence ?
— Le Nord.
La Scotie était calme, déclara-t-il. Le roi
Aed avait une fistule qui le distrayait de la guerre, même s’il y avait bien
sûr de fréquentes expéditions pour voler le bétail en Northumbrie, où mon oncle
Ælfric l’Usurpateur se faisait appeler seigneur de Bernicie.
— Il veut être roi de Bernicie ?
— Il veut être laissé en paix. Il n’offense
personne, amasse de l’argent, reconnaît Guthred comme roi et tient son épée
affûtée. Il n’est point sot. Il accueille sur ses terres les Danes, car ils le
protègent des Scotes, mais il n’autorise à Bebbanburg même que ceux en qui il a
confiance. Il veut que la forteresse demeure sûre.
— Mais il veut être roi ? insistai-je.
— Je sais ce qu’il fait, ironisa Offa, mais
ce qu’il veut est entre Ælfric et son dieu.
— Son fils vit-il ?
— Il en a deux, désormais, jeunes, mais
son épouse est morte.
— J’ai ouï dire.
— Son aîné aimait mes chiens et voulait
que son père me les achète. J’ai refusé.
Il n’avait guère plus de nouvelles de
Bebbanburg, hormis que le château avait été agrandi et, plus contrariant, que
la muraille et la porte avaient été reconstruites et renforcées. Je lui
demandai s’il était bienvenu à Dunholm, il se signa en me jetant un regard aigu.
— Personne ne se rend à Dunholm de son
plein gré. Ton oncle m’a octroyé une escorte pour traverser les terres de
Kjartan et je lui en sais gré.
— Kjartan prospère donc ? demandai-je
avec amertume.
— Tel un arbre verdoyant. (Puis, voyant
mon expression perplexe.) Il prospère, vole, viole, massacre et se terre à
Dunholm. Mais son influence s’étend bien plus loin. Il a de la fortune et en
use pour acheter des amitiés. Si un Dane se plaint de Guthred, tu peux être sûr
qu’il a reçu de l’argent de Kjartan.
— Je croyais que Kjartan avait accepté de
payer un tribut à Guthred ?
— Il le fit une année. Depuis lors, le
bon roi Guthred a appris à s’en passer.
— Le « bon roi Guthred » ?
— C’est ainsi qu’il est connu à Eoferwic,
mais seulement pour les chrétiens. Les Danes le tiennent pour un sot et un naïf.
— Parce qu’il est chrétien ?
— L’est-il ? Il le prétend et va à
la messe, mais je le soupçonne de croire encore aux anciens dieux. Non, les
Danes ne l’aiment point parce qu’il favorise les chrétiens. Il a tenté de lever
un impôt sur les Danes au nom de l’église. Ce n’était pas une fine idée.
— Combien de temps a donc le bon roi
Guthred ?
— Pour la prophétie je demande davantage.
— Et Ivarr ? répondis-je sans
relever.
— Quoi ?
— Reconnaît-il Guthred comme roi ?
— Il l’a fait, avança prudemment Offa. Mais
le comte Ivarr est de nouveau l’homme le plus puissant de Northumbrie. Il a
accepté de l’argent de Kjartan, dit-on, et en a usé pour lever des hommes.
— Pour quoi faire ?
— À ton avis ?
— Mettre un homme à lui sur le trône ?
— Cela semblerait probable, mais Guthred
a lui aussi une armée.
— Saxonne ?
— Chrétienne. Saxonne pour la plupart.
— La guerre civile couve donc ?
— En Northumbrie, la guerre civile couve
toujours.
— Et Ivarr gagnera, car il est sans
scrupules, dis-je.
— Il a plus de prudence que jadis. Aed la
lui a enseignée il y a trois ans. Mais son heure venue, oui, il attaquera. Quand
il sera certain de vaincre.
— Guthred doit donc tuer Ivarr et Kjartan.
— Ce que les rois doivent faire, seigneur,
dépasse mon humble compétence. J’enseigne aux chiens à danser, et non aux
hommes à gouverner. Désires-tu des nouvelles de Mercie ?
— J’aimerais connaître celles de la sœur
de Guthred.
— Celle-ci ! sourit Offa. Elle est
nonne.
— Gisela ! m’exclamai-je. Nonne ?
Elle est devenue chrétienne ?
— J’en doute, mais vivre dans un couvent
la protège.
— De qui ?
— Kjartan. Il voulait sa main pour son
fils.
— Mais Kjartan déteste Guthred, m’étonnai-je.
— Quand bien même, il a décidé que la
sœur de Guthred ferait une épouse convenable pour son borgne de fils. Je pense
qu’il veut que Sven soit un jour roi d’Eoferwic, et épouser la sœur de Guthred
l’y aiderait. Quoi qu’il en soit, il a envoyé des émissaires à
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