Les valets du roi
confiance puisqu’il connaissait Emma, lui raconta tout. De sa jeunesse chez lady Read, bercée par l’amour de Cecily, à ses retrouvailles avec Tobias et leurs conséquences. A la fin de sa confession, ils en étaient au dessert et Forbin se félicita de cet instinct qui ne l’avait pas trompé : Mary Read semblait bien différente des autres femmes qu’il avait rencontrées. Intrigué, il se promit de le vérifier.
Il se leva tandis que Perrine, ravie des compliments que Mary lui adressait pour sa cuisine, desservait sans hâte, et dégagea la chaise de Mary pour l’aider à se redresser ; le regard brûlant de ce désir qui le consumait, il l’entraîna vers l’escalier.
— Viens, lui dit-il simplement.
La porte de la chambre claqua sur leurs souffles courts et Forbin l’enlaça passionnément.
— Merci pour ta confiance, chuchota-t-il à son oreille en se troublant du parfum de sa peau.
— Il me reste un dernier aveu, capitaine, osa Mary.
— Lequel ? demanda-t-il en la taquinant de baisers jusqu’à la naissance du cou, relevant ses cheveux à pleines mains pour mieux s’en rassasier.
Mary étouffa un gémissement dans ce souffle :
— Cette nuit, vous serez le premier.
Forbin s’écarta d’elle, fouilla ses yeux sombres pour y deviner le mensonge, puis s’accorda à sa vérité une fois encore et la plia à son orgueil avec la plus évidente déloyauté.
Au petit jour, Mary avouait, vaincue, qu’elle n’aurait pu espérer meilleur précepteur que lui en ce domaine. Ce à quoi il répondit, de cet air supérieur qui l’agaçait tant :
— Je sais.
Puis il s’endormit comme un enfant gâté.
*
D urant les jours qui suivirent, Mary apprit de Forbin bien plus qu’elle n’aurait imaginé.
La journée, sous sa tenue de marin, elle l’accompagnait à l’arsenal avec Corneille pour s’activer avec les autres aux réparations de La Perle. Il y avait toujours des avaries grosses ou petites. Les courses malmenaient les navires et, si ce n’étaient les combats, les troncs d’arbres ou les déchets de toutes sortes flottant entre deux eaux abîmaient la coque, faussaient le gouvernail ; sans parler des algues qui, au terme de quelques semaines de mer, s’agglutinaient sur la carène.
A terre, sitôt désarmé, l’on s’employait à briquer, décrocher, poncer, recoudre les voilures, remâter le navire, sur les chantiers. La plupart des marins en profitaient pour rendre visite à leurs familles, abandonnant aux ouvriers spécialisés le territoire de tant de leurs journées.
Forbin avait libellé un laissez-passer pour Mary, ravi qu’elle s’intéressât autant à ce métier et à ces préoccupations d’homme.
Mary ne feignait pas. L’univers des marins la fascinait. Sans doute à cause de ceux que Cecily avait tant aimés. Peut-être aussi pour tenter de comprendre pourquoi ils lui avaient préféré cette maîtresse capricieuse, cette mer qu’il leur fallait sans cesse dompter.
Forbin ne la voyait pas dans la journée. Il lui avait inventé une activité de chroniqueur pour obtenir qu’elle puisse aller et venir à sa guise, interroge, s’instruise sur ce qu’elle voyait. Elle n’en finissait pas de s’étonner des innombrables rangées de canons de fer ou de fonte verte qu’on ramonait pour en décrocher les restes de poudre, telles des cheminées que trop de suie encrassait. Elle en retint les différents noms : le canon de France, la couleuvrine, la bâtarde, la moyenne, le faucon, ou encore le fauconneau. Elle fut surprise d’apprendre que la poudre à canon était un mélange de salpêtre, de soufre et de charbon de bois, qu’on la stockait dans des barils juste avant l’appareillage, ainsi que dans des gargousses contenant la quantité nécessaire à chaque tir.
D’impressionnants monticules de boulets sphériques ou de mitrailles complétaient en rangées les réserves de l’arsenal. On les fondait ou moulait dans un des bâtiments.
Elle emmagasinait dans sa mémoire les mots qu’elle entendait : l’évent qui désignait la différence de diamètre entre le calibre du canon et le boulet ; la sainte-barbe, local situé à l’arrière de l’entrepont où le maître canonnier rangeait son nécessaire quotidien ; le renard, où se trouvait dessinée une rose des vents qui servait d’aide-mémoire. Sans parler du nom des navires : la corvette, la galiote, la frégate.
Il n’était rien qui l’ennuyât. Elle ignorait
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