Les voyages interdits
spécialiste des pistes, je me pose là, veuillez
m’en croire. Vous m’avez fourni l’occasion de retrouver le goût des grands
espaces, vous n’aurez ma foi pas à le regretter. Mon efficacité vous étonnera.
Vous verrez !
Nous allâmes donc tous trois satisfaire aux adieux
rituels dus à nos hôtes, le shah Zaman, la shahryar Zahd, sa vieille mère et la
shahzrad Magas. Sachant que nous partions, ils s’étaient levés tôt. Leurs
souhaits de départ furent de ceux que l’on réserve à de véritables invités plus
qu’à de simples porteurs du sauf-conduit impérial du khakhan qu’il eût fallu
héberger.
— Voici les papiers stipulant que vous êtes
désormais propriétaires de cet esclave, expliqua le shah en les tendant à mon
père. Vous aurez encore de nombreuses frontières à franchir sur votre chemin
vers l’Orient, et partout il vous sera demandé de justifier de l’identité de
chaque membre de votre caravane. Maintenant, mes bons amis, faites bonne route
et puissiez-vous cheminer à l’ombre d’Allah.
À nous tous, mais avec un petit sourire qui m’était
tout particulièrement destiné, la princesse Phalène nous souhaita d’éviter tous
les mauvais génies qui pourraient hanter la piste, pour ne rencontrer que de
doux et délicats péri.
La vieille grand-mère hocha la tête sans dire un mot,
mais la shahryar saisit l’occasion de ces adieux pour nous débiter une histoire
aussi longue que toutes celles dont elle avait le secret, concluant avec
effusion :
— Votre départ va nous laisser bien démunis.
Là-dessus, j’eus le culot de lui répondre :
— Il y a ici quelqu’un, dans ce palais, à qui
j’aimerais présenter mes plus ardents hommages.
J’étais encore, je le confesse, quelque peu
tourneboulé par mon idée un peu folle d’avoir percé à jour quelque pesant
secret de famille concernant la princesse Lumière du Soleil. Car, qu’on le
veuille ou non et qu’elle ait été ou pas aussi sublime que je me l’étais peinte
en imagination, elle avait bel et bien été mon infatigable amante. Il était par
conséquent tout naturel qu’à l’instant de prendre congé j’eusse pour elle une
attention particulière.
— Daigneriez-vous lui transmettre mon chaleureux
au revoir, Votre Majesté ? Je ne pense pas que la princesse Shams soit
précisément votre fille, mais...
— Pardon ? s’esclaffa la shahryar. Ma fille,
vraiment ? Vous ne manquez vraiment pas d’humour, jeune Mirza Polo, de
vouloir prendre congé de nous sur un trait d’esprit aussi enjoué. Vous n’êtes
pas sans savoir, je suppose, que la seule princesse qui eût jamais porté ici le
nom de Shams n’est autre que la shahrpiryar.
— Ma foi, j’avoue que ce titre ne me dit rien et
que je ne l’avais encore jamais entendu employer, bredouillai-je, un peu
emprunté et hésitant.
J’étais d’autant plus troublé que je n’avais pas
manqué d’observer la façon curieuse dont s’était retirée la princesse Phalène
vers un coin de la pièce, la tête tournée vers un pli du qali qui ornait
le mur et les yeux brillants d’un éclat fort espiègle, comme si elle craignait
d’éclater bruyamment de rire.
— Le titre de shahrpiryar, poursuivit sa mère,
qualifie la princesse douairière Shams, la vénérable et royale génitrice, j’ai
nommé (et elle tendit théâtralement le bras vers elle) ma mère, ici présente.
Sonné sur place, le souffle momentanément coupé
d’horreur tant j’étais révulsé par cette effarante nouvelle, je dévisageai d’un
air dégoûté ce vieux débris ridé, ratatiné et à moitié chauve, au teint marbré
et à la vague odeur de moisi qu’était devenue la shahrpiryar Shams, cette
grand-mère décrépite à l’âge canonique, et... tenez-vous bien, elle répondit à
mon regard exorbité par un sourire humide et lascif qui découvrit ses gencives
d’un gris blanchâtre. Puis, afin que je ne puisse plus nourrir le moindre doute
quant à la réalité de cette révélation, elle passa lentement la pointe de sa
langue verte et moussue sur le reste décharné de sa lèvre supérieure.
Je pense que je dus vaciller un instant sur place,
mais je suivis je ne sais trop comment mon père et mon oncle en-dehors de la
pièce, parvenant de justesse à éviter une syncope ou un vomissement qui eût
été, sur ce sol d’albâtre, plutôt malvenu. Je n’entendis donc que dans un vague
brouillard les adieux entrecoupés de rire, enjoués et
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