L’ESPION DU PAPE
l’a vu et qu’elle se détourne pour s’éloigner de lui discrètement au bras de son cavalier. Aurait-elle l’intention de le fuir ? Ce n’est plus seulement la jalousie, mais la fureur qui le tient, à présent. Il court vers eux comme un forcené, l’enlève des bras du danseur et l’entraîne hors de la halle.
— Qu’est-ce qu’il te prend ? s’indigne-t-elle.
Sans répondre, il l’entraîne à contre-courant de la procession d’une main pressante, possessive, sous les regards étonnés des fêtards. Elle tente de résister.
— Lâche-moi !
Il la pousse vers son cheval à travers le flot des processionnaires. Constance comprend qu’il veut la ramener chez elle. Elle se rebiffe et lui plaque une main sur la poitrine, pour l’empêcher d’aller plus loin.
— Es-tu devenu fou ?
Comme il s’entête à l’emmener, elle le repousse plus violemment.
— Lâche-moi, je te dis !
Touvenel s’y résigne.
— Où est ton frère ?
— Je n’en sais rien ! Pourquoi ?
— Je l’ai trouvé dans le lit de Yasmina, chez toi, il y a une heure.
Cette révélation n’a pas l’air de surprendre Constance.
— En voilà une belle raison pour me brutaliser comme tu le fais !
Il semble à Touvenel avoir vu passer une lueur d’amusement dans les yeux de Constance. Cette impression attise un peu plus sa fureur.
— Tu ne comprends pas ! Il était dans son lit ! Et tous les deux nus, comme au jour de la création.
— Tu voudrais peut-être qu’ils s’aiment tout habillés ?
Le chevalier reste un moment saisi de l’aplomb de son amante. Il ne trouve qu’à balbutier :
— C’est ton frère, et c’est ma fille !
— Et alors ? Cela te donne-t-il le droit de te comporter envers moi en rustre ?
Comme il enserre toujours son poignet, elle lui tape violemment sur la main. Il maintient sa pression. Elle se saisit de son index et le lui tord férocement. Touvenel pousse un cri de douleur et la lâche.
— Tu as failli me briser le doigt !
— À chacun son dû ! rétorque Constance, bras croisés, en le considérant d’un air provocant.
Ils s’affrontent encore du regard, mais Touvenel reste silencieux.
— C’est tout ce que tu voulais me dire ? demande-t-elle.
— Bien sûr que non !
— Alors, parle !
— Il faut qu’ils s’épousent, et vite !
— S’épouser ! Pourquoi ça ?
— Parce qu’ils ont commis l’acte de chair.
— Et alors ?
— Alors, ils doivent s’unir par le sacrement du mariage.
Constance éclate de rire, puis réussit à retrouver son sérieux pour lui répondre :
— Tu voudrais peut-être que nous aussi, pour respecter tes règles, nous allions nous unir devant un prêtre de ton Église de Rome ?
— Pourquoi pas, en effet ?
— Je te l’ai dit : je n’attache aucune importance au sacrement du mariage.
— J’avais cru que tu plaisantais, lorsque tu semblais t’en moquer, dans ta cuisine.
— Eh bien, non. J’étais très sérieuse, au contraire.
— En épluchant tes poissons ?
— En épluchant mes poissons !
Touvenel secoue la tête d’un air accablé. Constance le toise, les bras croisés, l’air ironique.
— Je te croyais différent. Toi qui as vu tant de pays, tant de coutumes, et qui affectes l’indifférence à l’égard des religions.
L’air désemparé de Touvenel est si comique que Constance éclate de rire. Furieux, il la saisit de nouveau par le bras.
— Il faut que ces deux-là s’épousent, tu m’entends ?
Cette fois, c’est à coups de poing qu’elle se dégage. À l’écart, quelques villageois et villageoises, sortis de la halle, rient de les voir se disputer. Touvenel a du mal à la maîtriser. Il n’y parvient qu’en la maintenant serrée très fort contre lui.
— Tu ferais mieux de ne plus songer à ce mariage, lui murmure-t-elle, les dents serrées.
— Et pourquoi ?
— Parce que ta fille n’y consentira point.
— Elle n’y consentira point ?
— Non. Elle te dira qu’elle n’a que faire du mariage et qu’elle préfère le concubinage.
Le chevalier la serre plus fort encore contre lui, rageusement.
— Je l’y forcerai.
— Elle ne le fera pas.
— Je la mettrai dans le couvent que frère Dominique a fondé pour les femmes à Pouilles.
— Toi ?
— Moi.
— Non.
— Ah ça ! Et qui m’en empêchera ?
— Toi-même. Tu n’auras pas ce cœur-là.
— Je l’aurai.
— La tendresse paternelle
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