Lettres - Tome II
à des désirs de cette sorte, plus on demandait avec insistance au père de l’état de le contraindre à complaire au sénat. Il ne manquait plus, en effet, que de mettre l’autorité de l’état au service de Pallas, que de supplier Pallas de céder aux avances du sénat, que de demander à César lui-même de prendre sa protection et sa défense contre cet insolent désintéressement et d’obtenir que Pallas ne dédaignât pas quinze millions de sesterces. Il les dédaigna pourtant ; c’était le seul moyen, devant l’offre publique de si grandes richesses, de montrer plus d’arrogance encore qu’en les acceptant. Le sénat feignant de se plaindre de cette attitude, la comble en même temps d’éloges en ces termes : mais notre prince si bon et le père de l’état ayant consenti, à la prière de Pallas, qu’il fût dispensé de la partie du décret qui visait à lui faire un don de quinze millions de sesterces pris sur le trésor public, le sénat déclarait que c’était assurément de son plein gré et en toute justice qu’il avait désiré, parmi les autres honneurs, décréter à Pallas cette somme pour sa fidélité et son zèle, que cependant, se conformant à la volonté du prince, à laquelle il ne lui paraissait pas permis de résister en rien, il s’y soumettrait en cette occasion aussi. Figurez-vous Pallas opposant pour ainsi dire son veto à un décret du sénat, mesurant lui-même ses honneurs, et refusant une somme de quinze millions de sesterces, comme si c’était trop, alors qu’il acceptait les insignes prétoriens, comme si c’était moins. Figurez-vous César, obéissant, en plein sénat, aux prières, que dis-je ? aux ordres de son affranchi (car c’est un ordre qu’un affranchi adresse à son patron, quand il le prie devant le sénat) ; figurez-vous le sénat attestant partout que c’est en toute justice et de son plein gré qu’il a désiré décerner cette somme à Pallas parmi ses autres honneurs, et qu’il serait allé jusqu’au bout, s’il ne déférait à la volonté du prince, à laquelle il n’était permis de résister en rien. Ainsi pour que Pallas ne tirât pas quinze millions de sesterces du trésor public, il a fallu sa propre discrétion et l’obéissance du sénat, qui sur ce point seul n’aurait pas obéi, s’il avait jugé qu’il lui fût permis de désobéir en rien.
Vous croyez que c’est la fin ? Ne bougez pas et écoutez le plus beau : en tout cas, comme il est utile que la bonté du prince, si prompte à honorer et à récompenser ceux qui le méritent, soit connue en tous lieux et en particulier dans ceux où elle peut engager à l’imitation les hommes qui sont préposés au soin de ses affaires, et où l’éclatante fidélité et l’honnêteté de Pallas peuvent exciter par leur exemple le goût d’une si noble émulation, il a été décidé que le discours lu par le prince dans notre auguste assemblée le dix des calendes de février dernier, et le sénatus-consulte porté à ce sujet, seraient gravés sur une table d’airain et que cette table serait fixée près de la statue cuirassée du divin Jules César. C’était trop peu que la curie eût été témoin de telles turpitudes ; on a choisi le lieu le plus fréquenté {48} , pour les exposer à la lecture des générations présentes et futures. On a jugé bon de consigner sur l’airain tous les honneurs de cet esclave dédaigneux, même ceux qu’il avait refusés, même ceux qu’il n’avait exercés qu’autant qu’il dépendait des auteurs du décret. On a buriné et gravé sur des monuments publics et éternels les insignes prétoriens de Pallas, comme si c’étaient des traités antiques, comme les lois sacrées. Tant le prince, tant le sénat, tant Pallas lui-même, ont montré de… je ne trouve pas de mot, pour décider d’étaler aux yeux de tous, Pallas son insolence, César sa faiblesse, le sénat sa dégradation ! Et on n’a pas rougi de donner un prétexte à cette honte, un beau, un noble prétexte vraiment, le désir d’exciter, par l’exemple des récompenses décernées à Pallas, le goût de l’émulation chez les autres. Tel était l’avilissement des honneurs, de ceux mêmes que Pallas ne dédaignait pas ! On trouvait cependant des hommes d’une naissance distinguée qui briguaient et désiraient ce qu’ils voyaient donner à un affranchi, promettre à des esclaves. Quelle joie de n’avoir point vécu dans ces temps, dont je
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