L'hérétique
s’empêcher de se demander pourquoi il ne ressentait rien pour cet
endroit, et en même temps il savait qu’il allait y revenir. Il restait des
secrets à Astarac et il devait les éclaircir.
Seul Robbie montait un cheval libre de tout butin. Dernier à
rejoindre ses compagnons, il arborait une expression étrangement béate en
revenant du monastère. Il ne donna aucune explication pour son retard, ni la
raison pour laquelle il avait épargné les cisterciens. À peine adressa-t-il un
petit signe de tête à Thomas avant de se glisser au milieu de la colonne qui
s’ébranlait vers l’ouest.
Ils arriveraient tard à Castillon d’Arbizon. La nuit serait
probablement tombée, mais cela n’inquiétait pas Thomas. Les coredors n’oseraient pas attaquer, et si le comte de Bérat avait envoyé des forces pour
les intercepter pendant leur trajet de retour, ils les apercevraient depuis les
crêtes. Il progressait donc sans appréhension, ne laissant derrière lui que
misère et cendres dans un village meurtri.
— Alors ? As-tu trouvé ce que tu cherchais ?
lui demanda messire Guillaume en s’approchant.
— Non.
Le Normand éclata de rire.
— Tu fais un beau Galaad !
Il lorgna vers le « butin » qui pendait à la selle
de Thomas.
— Tu pars chercher le Saint-Graal, s’amusa-t-il, et tu
reviens avec un tas de peaux de chèvres et une pièce de mouton !
— Ça grille bien, avec de la sauce au vinaigre,
répondit Thomas.
Guillaume d’Evecque regarda derrière lui et constata qu’une
dizaine de coredors continuaient de les suivre sur la crête.
— Nous allons devoir donner une bonne leçon à ces
bâtards…
— On va le faire, acquiesça Thomas. On va le faire.
Aucun homme d’armes ne les attendait en embuscade. Le seul léger
retard fut imputable à un cheval qui se mit à boiter, mais le responsable
n’était rien d’autre qu’un caillou qui s’était glissé dans son sabot. Les coredors disparurent à l’approche du crépuscule. Robbie chevauchait de
nouveau en avant-garde. Mais une fois à mi-chemin, quand le soleil ne fut plus
qu’une boule rouge plongeant au loin, il rebroussa chemin pour rejoindre
Thomas. Geneviève éloigna sa jument en voyant approcher l’Écossais. Si Robbie
le remarqua, il ne fit aucun commentaire. Lui aussi regarda les peaux de
chèvres enroulées derrière la selle de Thomas.
— Jadis, mon père a porté une cape en peau de cheval,
dit-il afin de briser le silence qui s’éternisait.
Puis, sans ajouter d’autres détails sur les curieux goûts de
son père en matière vestimentaire, il afficha une mine embarrassée.
— J’étais en train de réfléchir… commença-t-il.
— Dangereuse occupation, répondit négligemment Thomas.
— Lord Outhwaite m’a laissé t’accompagner, mais est-ce
qu’il verrait d’un mauvais œil que je te quitte ?
— Que tu me quittes ?
Thomas ne dissimula pas sa surprise.
— Naturellement, je retournerai auprès de lui… en fin
de compte.
— En fin de compte ? demanda l’Anglais, de plus en
plus circonspect.
Malgré sa présence auprès de Thomas par la grâce de lord
Outhwaite, Robbie restait le prisonnier de ce dernier et son devoir, s’il
quittait leur groupe, était de retourner chez lui, dans le nord de
l’Angleterre, et d’attendre là que sa rançon soit payée.
— J’ai des choses à faire, expliqua sobrement
l’Écossais, pour remettre mon âme dans le droit chemin.
— Ah !
C’était au tour de Thomas de se montrer embarrassé. Il fixa
le crucifix d’argent sur la poitrine de son ami.
Robbie observait une buse immobile au bas de la colline qui
guettait du petit gibier dans la lumière déclinante.
— Je n’ai jamais eu d’inclination pour la religion,
continua tranquillement le Calédonien. Aucun homme de notre famille n’en a. Les
femmes s’en soucient, naturellement, mais pas les hommes du clan Douglas. Nous
sommes de bons soldats et de mauvais chrétiens.
Ostensiblement mal à l’aise, il fit une pause, puis glissa
un rapide coup d’œil vers Thomas.
— Tu te souviens de ce prêtre que nous avons tué en
Bretagne ?
— Bien sûr, répondit l’Anglais.
Comment l’oublier ? S’il portait l’habit des frères
prêcheurs, le dominicain Bernard de Taillebourg était surtout l’inquisiteur qui
l’avait torturé. Le prêtre avait aussi aidé Guy Vexille à tuer le frère de
Robbie et, ensemble, Thomas et Robbie l’avaient abattu au pied d’un
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