L'homme au ventre de plomb
d'Apollon. C'était enfantin, lui dit
Gaspard, il suffisait de rester dans l'axe du palais et d'aller tout
droit.
Une fois dans le
parc, Nicolas alla d'étonnements en émerveillements. Il
fut saisi par la grandeur et la beauté des jardins, traversa
le parterre d'eau, admira le bassin de Latone et les bassins des
Lézards pour aboutir, au bout d'une longue ligne droite, au
char d'Apollon au milieu de sa pièce d'eau. Il voulait voir
l'endroit où le mystérieux rendez-vous avait été
donné. Ce qu'il cherchait vraiment, il ne le savait pas
lui-même. Un petit vent tiède sous le soleil de midi
soulevait un léger friselis à la surface des eaux.
Il décida
d'aller voir le Grand Canal, dont le début se trouvait juste
derrière le char d'Apollon. Il franchit la grille des
Matelots, surveillée par un garde, et fut surpris de trouver
une dizaine d'embarcations amarrées à la rive du Grand
Canal. Il poursuivit sa visite. Comme il longeait l'immense pièce
d'eau, son attention fut attirée par un remous dans lequel il
ne vit tout d'abord que le saut d'une carpe gigantesque : c'était
un enfant qui se débattait et agitait les mains avec
désespoir. Nicolas voyait sa bouche s'ouvrir sans qu'aucun son
n'en sortît. Il était sans doute à bout de
forces. Nicolas ôta son habit et ses souliers en toute hâte
et se jeta dans l'eau. Il nagea avec énergie jusqu'Ã
l'enfant, le saisit, lui souleva la tête hors de l'eau et le
ramena sur la berge.
Alors seulement,
il put considérer la créature qu'il venait de sauver.
C'était un garçon malingre de dix ou douze ans, vêtu
de haillons. Il roulait de beaux yeux effrayés et sa bouche
continuait à s'ouvrir régulièrement sans
qu'aucune parole s'en échappât. Il embrassa la main de
Nicolas. Au bout de quelques minutes d'incompréhension, ce
dernier comprit qu'il avait sauvé un malheureux sourd et muet.
A force de gestes,
il finit par pouvoir tenir avec lui une sorte de conversation.
L'enfant était en train de pêcher, il avait glissé
et ne sachant pas nager, avait été emporté par
le clapot. Il allait se noyer au moment où Nicolas l'avait
rejoint.
Nicolas dessina
une maison sur le gravier. L'enfant se mit debout, le prit par la
main et l'entraîna vers la campagne demeurée Ã
l'état sauvage du grand parc. Ils marchèrent longtemps
dans les taillis pour aboutir devant une grande haie couverte de
ronces qui dissimulait l'entrée d'un long bâtiment en
rondins. L'enfant maintenant s'agitait, étrangement inquiet.
Il poussa soudain Nicolas vers la forêt, lui embrassa Ã
nouveau la main, sourit, puis lui fit signe de s'éloigner.
Nicolas se
retrouva dans la forêt. Des heures avaient passé et la
nuit allait tomber. Il eut quelques difficultés Ã
retrouver son chemin, mais, élevé à la campagne,
il savait s'orienter sous les futaies. S'aidant de la lueur lointaine
des étoiles, il retrouva le Grand Canal et passa la grille des
Matelots. Le garde n'avait pas changé et le reconnut. Nicolas
l'interrogea et apprit que de nombreux ateliers de fonteniers étaient
tolérés dans le grand parc, et que celui qu'il avait vu
était vraisemblablement celui de Jean-Marie Le Peautre,
installé depuis peu de mois avec son aide Jacques, un petit
sourd-muet.
Parvenu au
château, il retrouva Gaspard qui faisait les cent. pas en
l'attendant. Il remonta dans l'appartement de La Borde où,
après s'être changé et séché, il
lut jusqu'Ã l'heure du souper. Quand il regagna la chambre,
une tenue avait été disposée sur un fauteuil,
justaucorps, cravate, veste, tricorne galonné, le tout
accompagné d'une paire de bottes et d'un couteau de chasse. Il
demanda au valet de l'éveiller de bon matin.
Lundi 29
octobre 1761
Le valet le
réveilla aux aurores. Le rendez-vous était fixé
à dix heures, le départ des carrosses prévu une
demi-heure avant. Il prit son temps, se prépara avec un soin
particulier et ne fut satisfait qu'après avoir contemplé
son reflet flatteur dans le trumeau de la cheminée. À
l'heure dite, Gaspard montra son petit profil aigu, agrémenté
cette fois d'un sourire aimable – il avait adopté
Nicolas -, et l'engagea à se mettre en route. Le rassemblement
des carrosses s'organisait devant l'aile du Nord. Une foule
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