L'homme au ventre de plomb
de
voitures attendait. Un valet consulta le billet que lui tendait
Nicolas et lui désigna la sienne. Un jeune homme qui ne se
présenta pas le toisa et se retourna de l'autre côté.
Nicolas n'en prit pas ombrage et se plongea dans la contemplation des
jardins, puis du parc. Après avoir franchi une grille, les
carrosses s'engagèrent rapidement dans des allées
forestières. Il retrouvait le grand parc traversé la
veille. Le paysage devenait de plus en plus sauvage, avec des champs,
des friches, des bosquets et de hautes futaies. Trois quarts d'heure
plus tard, la caravane parvint au lieu du rendez-vous. Les invités
descendirent des carrosses, et Nicolas suivit son voisin pour
présenter de nouveau son billet aux piqueurs. Il ne manqua pas
d'emplir la main du personnage qui lui désigna, avec un clin
d'œil complice, un hongre de haute taille gris pommelé.
Il préféra traduire de manière favorable le
signe de connivence du piqueur. La bête en question, après
quelques croupades et cabrades destinées à le tâter,
comprit qu'elle avait affaire à un cavalier consommé et
se plia à sa volonté. Pour un cheval dont usaient tant
de cavaliers différents, il jugea qu'il avait la bouche plutôt
bonne. et qu'ils seraient en franc compagnonnage. Il se sentait
d'humeur joyeuse. A quelques pas de lui, une jeune femme en habit de
chasse vert parlait à haute voix. Nicolas reconnut Madame
Adélaïde qui écoutait un vieux veneur lui faire
son rapport. Il lui présentait sur des feuilles les fumées
d'un daim.
– Longues,
Madame, formées et bien moulées. Un mâle de bon
embonpoint.
– L'avez-vous
vu, Naillard ?
– J'ai fait
ma quête au petit jour, je l'ai rabattu puis aperçu au
viandis. Belle tête haute, ouverte et paumée. Je l'ai
suivi avec mon chien jusqu'au taillis de ses demeures, où il
s'était rembuché. Puis j'ai mis mes brisées.
La princesse parut
satisfaite et la cavalcade se mit en branle au milieu des aboiements
de la meute. Au début, Nicolas s'abandonna à l'ivresse
retrouvée de la course sur une monture heureuse. Il ne faisait
qu'un avec elle et tous deux s'emplissaient de l'air pur de la forêt.
Il avait toujours aimé le galop et ses longs moments d' oubli.
Il dut cependant modérer son allure, de crainte de dépasser
la tête de la chasse. D'ailleurs, Madame Adélaïde
venait de mettre son cheval au pas et ne semblait pas vouloir hâter
les choses avant que la bête ne soit lancée et la meute
à ses trousses. Alors que les chasseurs abordaient une longue
percée, elle abandonna soudain le gros de la troupe pour
s'engager sous le couvert. Le personnage désagréable
qui avait fait voiture commune avec Nicolas s'approcha de lui et,
d'un geste du chapeau, l'engagea à rejoindre la princesse.
Nicolas pénétra à son tour sous le couvert, au
milieu des fougères desséchées et rougeâtres.
Madame avait arrêté son cheval. Il s'approcha, sauta Ã
terre et, le tricorne bas, s'inclina. Elle le considérait d'un
air aimable mais sans sourire.
– On me dit
beaucoup de bien de vous, monsieur.
Il n'y avait rien
à répondre. Il prit un air modeste sans se forcer. Qui
était ce « on » ? Le roi ? Sartine ? La
Borde ? Les trois, peut-être. Certainement pas Saint-Florentin,
qui était détesté par les filles de France.
– On vous
dit sagace et discret.
– Je suis
l'humble serviteur de Votre Altesse royale.
Cela allait de
soi.
– J'ai des
tracas dans mon intérieur, monsieur Le Floch. Mes pauvres
Ruissec, le malheur les a frappés, vous savez...
Elle médita
un moment. Nicolas crut même qu'elle priait. Puis elle parut
écarter une idée importune.
– Enfin...
En outre, je constate depuis quelque temps des vols bien déplaisants
dans mes cassettes.
Il osa
l'interrompre. Surprise, elle lui sourit. C'était une belle
jeune femme, avec un charme impérieux.
– Des
bijoux, Madame ?
– Oui, des
bijoux. Plusieurs bijoux.
– Serait-il
possible à Votre Altesse royale de faire dresser par l'un de
ses serviteurs de confiance une liste descriptive des pièces
disparues ?
– Mes gens y
pourvoiront et vous feront tenir la chose.
– M'autoriseriez-vous,
Madame, guidé par quelqu'un de votre maison, Ã
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