Liquidez Paris !
je ne sois arrêté moi aussi ! Je m’excuse de ne pas sortir en même temps que vous, mais les réverbères eux-mêmes ont des yeux en ce moment.
Dans le Stalingrad qu’est devenue la Normandie cinquante mille hommes ont été faits prisonniers, quarante mille sont tombés. Du 27 e Panzer Regiment, quatre-vingt pour cent des effectifs ont disparu ; ce qui reste est envoyé à Paris pour un motif inconnu.
Avec un plaisir à peine voilé, le Generalfeldmarschall Gert von Rundstedt informe le Grand Quartier que l’on compte maintenant un million huit cent mille Anglo-Saxons débarqués qui se battent contre deux cent mille Allemands. Chaque division blindée ne possède plus que cinq à dix chars ; les régiments ont fondu au point de devenir des compagnies. La situation est désespérée. Le vieux Rundstedt qui ne perd jamais son calme en devient fou et serre le récepteur du téléphone à le briser.
– Il faut en finir, et tout de suite, maudits crétins ! C’est la seule chose sensée à faire. Vous devriez tous être dans un asile d’aliénés !
II lance sur le sol le téléphone qui se casse et boutonne avec rage sa capote d’infanterie vierge de tout ruban, alors qu’il est l’homme le plus décoré d’Allemagne. Le Generalfeldmarschall von Rundstedt ne portait ses décorations que sur ordre. Il se colle sur la tête sa haute casquette et salue ses officiers.
– Au revoir, messieurs. Demain vous aurez sans doute un nouveau chef, ou je connais mal ce « caporal de Bohême ! »
LA SALLE DE GARDE DE L’HOTEL MEURICE
DEUX civils en manteaux de cuir, et aux chapeaux de feutre rabattus sur les yeux tenaient compagnie au chef de la garde, à l’hôtel Meurice . Deux hommes insolents qui avaient mis leurs pieds sur la table et photographiaient de leurs yeux perçants tous ceux qui passaient.
– Dis donc Heinrich, ce qu’on s’embête ici ! déclara l’un d’eux. On était mieux à Lemberg. En Pologne, ça allait plus rondement. Tu te rappelles quand nous avons ramassé Tamara à Brest-Litovsk ? Quelle fille ! Ça m’a fait quelque chose de la descendre. Une simple fille de salle qui commandait tout un bataillon de partisans ! Tué de sa main deux de nos généraux ! Ça c’était une femme, et à mon avis, idiot de la descendre. A Moscou, ils sont plus malins. Ce genre-là est envoyé au lavage de cerveaux et on le récupère. Si nous perdons cette guerre du diable, je change de crémerie ; l’étoile rouge m’irait assez, et là-bas, au fond, leui programme c’est exactement le nôtre. Moi, mon instinct ne me trompe jamais, c’est pourquoi je suis encore dans ma peau. J’étais chez Dirlewanger, tu sais, et aussi à Katyn.
– Tu devrais la boucler, répondit son collègue. Katyn, c’était les Rouges, pas nous ; maintenant le travail c’est Paris. – Il se tourna vers le chef de la garde, un Oberfeldwebel d’artillerie. – Je te rappelle frère qu’ici toutes les conversations sont ultrasecrètes.
L’homme haussa les épaules. Il connaissait depuis longtemps le proverbe japonais : « Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire », auquel il ajoutait « ne pas penser ». C’était la première condition pour survivre au temps présent. Un tir de barrage en terrain plat se révélait bien moins dangereux que la compagnie de deux types de la Gestapo, aussi l’Oberfeldwebel regarda-t-il la pendule. Dieu merci, la relève allait arriver. Sûr qu’elle ne manquerait pas d’étonner les deux gangsters, cette relève-là !
L’Oberfeldw r ebel prépara son rapport. Une poisse d’être né en Allemagne jusque pour la guerre ! Dortmund et ses environs lui suffisaient largement comme espace vital ; quand pourra-t-il rentrer à Dortmund ? La porte s’ouvre brutalement. Ah ! voilà la relève. Ce sont douze soldats des chars qui envahissent la pièce telle une trombe.
– Salut la boutique ! cria le premier. Obergefreiter Porta.
Sur ses talons arrivait Petit-Frère qui s’assit sur le bureau sans le moindre souci de la discipline.
– Alors, roi des embusqués, dit-il en rigolant, tu peux sonner ton grand patron et lui dire qu’on est là !
– Que diable ! gronda l’Oberfeldwebel, au garde-à-vous, bétail à cornes ! Vous ne voyez pas que vous êtes dans une salle de garde prussienne ?
– Va pisser sur la lune, répondit sans façon Porta.
– Vos gueules à tous ! s’exclama une voix impérieuse.
Les nouveaux arrivants,
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