L'or de Poséidon
étions enfin quittes. Après les avoir payés pour qu’ils cessent de s’acharner contre nous, nous avions récupéré l’argent en les grugeant d’une façon magistrale. Ces soi-disant connaisseurs venaient d’acquérir un faux Phidias à prix d’or.
Et nous allions devenir riches, car nous avions toujours le Zeus.
Pour fêter ça, mon père et moi achetâmes une amphore de vieux falernien. Puis deux autres. Après les avoir vidées, conscients d’être sur le point de devenir vraiment ivres si nous buvions une seule goutte de plus, nous nous rendîmes à la caupona pour admirer notre Zeus.
Nous passâmes par l’allée de derrière. La porte de l’écurie avait été soigneusement verrouillée par Oronte quand il avait quitté les lieux. Rassurés, nous poussâmes de joyeuses exclamations. Après que Geminus eut réussi à ouvrir, nous allumâmes des lampes. Notre allégresse ne tarda pas à se transformer en la plus vive anxiété.
Dans l’espace que j’avais libéré pour y installer le bloc de marbre destiné à Oronte, se dressait toujours un bloc de marbre de taille à peu près égale. Il n’en manquait qu’un petit morceau. Un rectangle bien net découpé au sommet.
Nous enfilâmes l’escalier en silence. Nous avions beau avoir tout de suite deviné ce qu’il s’était passé, nous avions tous les deux besoin d’en avoir le cœur net.
Dans la chambre où nous avions laissé notre Zeus de Phidias pour servir de modèle à cet ignoble sculpteur, il ne restait plus qu’un bras sectionné près à lancer la foudre.
— Dis-moi que je suis en train de faire un cauchemar, que je vais me réveiller…
— Oh, le putain d’enfant de salaud ! Si jamais je lui remets la main dessus, il va me le payer cher.
— Il doit déjà être loin.
Au lieu de se fatiguer à sculpter une nouvelle statue, Oronte Mediolanus avait simplement transformé le chef-d’œuvre du génial grec, en le dotant d’un nouveau bras droit. Le Zeus brandissait maintenant un trident à la place du tonnerre.
Et au lieu d’un faux, nous avions vendu notre Phidias authentique à Carus et Servia. En nous donnant beaucoup de mal.
67
Ce jour d’avril, pour autant que je le sache, n’était pas un jour noir dans le calendrier romain, mais pour moi, il en resterait un à jamais. Au temps de la république, le Nouvel An correspondait aux Ides de Mars, et mars était le premier mois de l’année. Les sénateurs eux-mêmes étaient en vacances. Pour affronter avril, il fallait être en forme. En avril, les fêtes se succédaient : Megalensis, Jeux Floraux, Festival de Cérès, Vinalia, Robigalia, et Parilia – l’anniversaire de Rome.
Je n’étais pas certain de pouvoir supporter autant de joie civique. En fait, pour le moment, rien que de penser à ces réjouissances me déprimait.
Je traversai le Forum à pied. À sa demande, j’avais accompagné mon père à la Sæpta où je l’avais abandonné dans son bureau, étourdi par le choc, mais encore lucide. Pour le moment. Il voulait rester seul. Moi non plus, je n’avais envie de voir personne. Toute la famille devait être rassemblée chez ma mère, y compris Helena. L’idée d’être accueilli avec des guirlandes, quand je ne cessais de me reprocher ma propre stupidité, m’était intolérable.
J’aurais dû surveiller Oronte. Il m’avait dit qu’il travaillait toujours sans interruption, et qu’une simple visite pouvait tout faire rater. Dire que je m’étais laissé prendre par un mensonge aussi grossier.
Si la création est un processus délicat, le mensonge est tout un art.
Ah, les Parques s’y entendaient pour juguler notre arrogance ! Je marchai au hasard dans Rome, m’obligeant à avancer jusqu’à ce que je puisse considérer ce que j’avais fait. Par ma faute, j’avais gâché toutes mes chances. Je devais trouver très vite une occupation, sinon j’allais en perdre la raison.
J’avais toujours des réponses à chercher. Ce malheureux événement ne m’avait pas fait oublier les promesses faites à ma mère. Le meurtre du centurion était résolu, nous avions failli réaliser un dessein qui aurait vengé tout le clan Didius, mais il restait la question de la réputation de mon frère.
Carus l’avait escroqué en achetant la complicité d’Oronte. Je n’étais pas en position d’en vouloir à Festus de s’être fait avoir par ce maudit sculpteur. D’après ce que j’en savais, une seule de ses transactions commerciales
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