Louis Napoléon le Grand
l'Empire présente au moins autant d'inconvénients que d'avantages. Le principal argument en sa faveur tient à la garantie de durée qu'il paraît offrir. Relativement floue sur ce point, la Constitution de 1852 confie le pouvoir exécutif pour dix ans au prince-président, mais ne prévoit, ni n'exclut, une éventuelle réélection. Restaurer le trône, c'est évidemment — sous réserve de préciser les conditions de succession — organiser la pérennité du système. Mais face à cet argument, combien de risques et de désavantages!
Les premiers obstacles viennent de l'extérieur. On peut tout attendre des autres puissances européennes, sauf l'enthousiasme. Il faut se garder d'oublier, en effet, que sont encore en vigueur les traités de 1815, qui ont exclu à perpétuité la famille Bonaparte de toute souveraineté, en France et en Europe. Qu'un Bonaparte se fasse élire président de la République et prolonge son mandat, passe encore, mais qu'il remonte sur le trône d'un oncle qui a causé tant de soucis, est-ce supportable?
D'emblée se manifestent de fortes réticences dans les deux pays les plus intéressés à réagir: la Russie et l'Angleterre. Le tsar Nicolas lui signifia clairement sa position par le truchement de l'ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg, en disant : « Gardez-vous de l'Empire. » Quant aux Anglais, le simple fait que le cabinet Russell-Palmerston était tombé pour avoir approuvé le coup d'État sans l'agrément préalable de la reine ou du Parlement en disait long sur leurs appréhensions. Un second Empire français ne pourrait que renouer avec la politique étrangère du premier, donc exprimer pour le moins la revendication du retour aux frontières naturelles. C'était la promesse des ennuis les plus graves...
De son côté, qu'avait à gagner Louis Napoléon dans une telle aventure?
Président de la République française, il se trouvait à la tête d'un régime sans équivalent parmi les autres grandes nations d'Europe, régime dont l'originalité faisait la force et pouvait même, pourquoi pas, justifier une orientation messianique. Empereur, il semblait en revanche vouloir jouer dans la cour des autres, où il arrivait le dernier, avec une légitimité bien ténue et frôlant la bâtardise, fort exposé à s'affaiblir à trop vouloir leur ressembler.
Louis Napoléon paraît si conscient de ces risques qu'au moment de franchir le pas il s'emploiera à les atténuer et à corriger l'impression fâcheuse que pouvait produire son intrusion dans un monde différent.
D'autant que, selon toute apparence, il n'était pas moins convaincu des inconvénients du rétablissement de l'Empire sur le plan de la politique intérieure.
La signification un peu équivoque du vocable de « républicain » — un républicain pouvant être aussi bien un rouge qu'un fieffé réactionnaire — fait de la république un terrain neutre. Choisir de rester en république, c'est donc faire référence aux principes de 1789 sans se priver de la recherche du consensus le plus large.
A l'inverse, choisir l'Empire, c'est arbitrer entre les tendances qui se disputent la France... Louis Napoléon, jusque-là, a toujours senti le danger qu'il y avait pour lui à passer pour le représentant d'une seule de ces tendances. Aucune d'entre elles n'a le droit de le revendiquer. Et sa démarche, à peine de se contredire, ne doit jamais pouvoir être assimilée à celle des Bourbons et des Orléans. C'est bien pourquoi il n'a jamais voulu de parti bonapartiste. Il ne peut être qu'à la tête du parti de la nation. La « fusion » et le « rassemblement » sont à ce prix.
Rétablir l'Empire, c'est donc rompre avec le principe même qui l'a guidé, a fait sa force, assuré ses succès et qui lui offre la meilleure chance pour l'avenir. C'est donner à penser que les Bonaparte, au terme d'une médiocre compétition avec deux autres familles, ont fini par l'emporter... Il y a là un danger d'autant plus grand qu'en refusant de constituer un véritable parti on s'exposera aux coups de la concurrence.
Et puis, sur un plan plus personnel, Louis Napoléon pouvait se poser une vraie question : avait-il fait tout ce qu'il avait fait pour rétablir la lignée d'un autre ou bien pour accomplir son propre destin, au service de la France?
Telles sont les réflexions auxquelles il lui était difficile d'échapper. Voilà ce qu'il ne pouvait pas ne pas penser.
Mais il avait affaire à forte partie.
Ceux qui
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