L'ultime prophétie
porter pour qui que ce
soit, mon ami.
— Oui. Ce n'est pas la responsabilité d'un guerrier mais
celle d'un prêtre. Mais des hommes qui auront combattu aux côtés d'un guerrier
se tourneront-ils vers un prêtre qui n'aura pas vécu leurs souffrances et
l'horreur de la guerre, qui n'aura pas vu les visages de ceux qu'il tuait en
pleine nuit ? Non, mon ami. Ils ne le pourraient pas. Ils n'auront foi qu'en
l'un des leurs.
Ratha comprit la vérité des paroles de Tom, tout en doutant
de sa capacité à répondre à son attente. Cette guerre ne durerait pas, ne
pouvait pas durer éternellement. Et si les dieux leur accordaient la victoire,
ses hommes et lui devraient rentrer chez eux, retrouver les pierres de leur
clan, la beauté et la joie des choses simples de l'existence. Il leur faudrait
traverser les épreuves quotidiennes en époux et en pères aimants et non avec le
cœur dur des guerriers. Ils devraient émerger de la chape de plomb de la guerre
et revoir le soleil de la paix.
Etait-il capable de les guider sur cette voie ? Comment pourrait-il
lui-même échapper à cette noirceur et devenir un homme de paix, quand il
n'avait jamais connu la vie paisible d'un foyer, qu'il n'avait ni femme ni
enfants et qu'il n'avait jamais semé, travaillé les champs et récolté le fruit
de ce travail ? C'était comme si Tom demandait à un aveugle d'enseigner la
couleur à des êtres qui avaient fait le choix de l'exclure de leur vie.
— Je ne suis pas celui que tu cherches, dit Ratha. Fais
plutôt appel à Jenah. Lui au moins a toujours vécu parmi les Anari.
— Si cette guerre s'était achevée dans le défilé, peut-être,
repartit Tom. Car cette bataille-là était celle de Jenah, la bataille des Anari
pour se libérer du joug de leurs maîtres et vivre en hommes libres. Mais la
guerre qui se prépare représente bien plus que cela. C'est l'affrontement de
deux frères, Annuvil et Ardred. Les Anari te feront confiance car tu voyages
aux côtés d'Annuvil depuis plus longtemps que n'importe lequel d'entre nous. Tu
dois devenir le prêtre de la paix, mon ami. Si tu refusais, je crains que les
Anari ne puissent plus jamais être les mêmes.
— Ce n'est pas assez que de le vouloir. Je doute d'en être
capable.
— Un seul homme peut autant qu'un groupe. Et le pouvoir
d'un groupe peut être celui d'un seul homme. Commence par un seul homme, mon
ami. Commence par toi-même.
Lorsque Tess sortit du temple le lendemain matin, le soleil
brillait dans l'air glacé. Entourée de ses sœurs et des mères de clan, elle
éprouva une légèreté qu'elle n'avait pas ressentie depuis longtemps. Passer la
nuit avec ses anges gardiens paraissait l'avoir sortie du tunnel obscur où elle
s'enfonçait peu à peu depuis son affrontement avec Elanor.
La lumière du jour lui parut particulièrement claire et vive
et l'éblouit après la pénombre du temple. Elle avait le sentiment de voir la
beauté d'Anahar pour la première fois. Tout avait l'air propre, presque
purifié, comme après une grosse averse.
Mais il n'avait pas plu.
Elle leva les yeux vers le ciel sans nuages. Quelque chose
avait changé. Si l'obscurité avait quitté son être, elle semblait également
avoir déserté cette partie du monde.
C'est alors seulement qu'elle mesura à quel point Ardred
l'avait assombrie.
Elle se tourna vers les mères de clan rangées derrière elle.
Leurs visages sombres et marqués par l'âge trahissaient la fatigue de la nuit
passée mais aussi une sorte de joie.
— Merci, leur dit-elle. Merci à toutes.
Elles s'inclinèrent. Puis, comme elles se redressaient,
Jahila, la plus jeune, s'adressa à Tess.
— Nous vous avons attendu si longtemps, ma dame. Vos responsabilités
sont nombreuses et bien lourdes et nous vous aiderons volontiers, bien que
modestement, à les assumer.
Tess s'inclina à son tour mais le rouge de l'embarras lui
monta aux joues. Malgré tout ce qui s'était passé, elle n'arrivait pas à croire
qu'elle pût être, même pour moitié, ce que ces gens pensaient d'elle. Elle
n'était certainement pas leur sauveur !
— Je ne suis, dit-elle avec douceur, qu'une femme
semblable à chacune d'entre vous. J'espère être à la hauteur des espoirs que
vous avez placés en moi.
Elle s'éloigna, suivie de Cilla et de Sara. Les mères de
clan sortirent des clochettes de dessous leurs robes et les agitèrent. Une musique
presque surnaturelle accompagna le départ des trois
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