Madame Catherine
les yeux et, comme envoûté soudain par un spectre, donna le sentiment d’entrevoir des choses terribles.
— Eh bien ? demanda la duchesse.
Le mage demeurait muet. Elle insista, mais il ferma les yeux et secoua longtemps la tête. Puis il s’excusa, l’air navré.
— Spiacente {22} . Je ne vois rien du tout.
— Tu mens !
— Madame...
— Dis-moi ce que tu as vu, ordonna la duchesse. Dis-le-moi !
Le vieillard faisait la moue, secouait encore la tête.
— Je n’ai rien vu.
Alors elle se leva, fît le tour de la toilette et le prenant par les épaules, se mit à le secouer, le secouer de plus en plus violemment. Elle lui hurlait au visage.
— Parle ! Tu m’entends ? Je te l’ordonne ! Allons ! Mais parle donc !
Le vieux Vénitien la fixait de ses yeux horrifiés, tout exorbités. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais, comme tétanisé, demeura muet. Puis il s’effondra sur sa chaise, inanimé : il était mort.
Un soir de la même semaine, Diane se préparait pour la nuit quand on lui signala qu’un maître d’hôtel du roi, M. de La Ménardière, venait d’arriver de Metz, à cheval, en compagnie de très peu d’archers. Elle le reçut toutes affaires cessantes, mais sans quitter son lit, le dos calé contre un monceau d’oreillers et de coussins, tous brodés de croissants de lune.
Elle prit tranquillement connaissance des lettres des Guises, du maréchal de Montmorency et de quelques autres, et garda pour plus tard celle du roi lui-même. Puis elle libéra le messager.
— Madame, se permit-il, j’ai cheminé en compagnie du plus jeune secrétaire de M. le connétable, un nommé Vincent Caboche. Il a lui-même un message oral à vous transmettre...
Il se faisait tard, et le premier mouvement de Diane eût été d’ajourner l’entretien. Mais à la réflexion, elle se dit qu’il serait amusant d’entendre, de la bouche de ce garçon, des nouvelles de ces Châtillon si peu catholiques... La gloire dont Montmorency s’était couvert en s’emparant des évêchés ne justifiait-elle pas qu’on redoublât de vigilance à son égard, quitte à espionner ses neveux ?
Aussi le jeune secrétaire remplaça-t-il le messager du roi dans la chambre de la duchesse.
— Tu es moins mouillé que lors de ton premier séjour, observa-t-elle, non sans ironie.
— Mais tout aussi affamé, madame.
Il espérait peut-être se faire servir un festin...
Diane ne releva pas.
— J’imagine, dit-elle, que Messieurs de Coligny et d’Andelot font en ce moment les fiers-à-bras...
— Ils n’ont guère de motifs de raser les murs, répondit Caboche avec son habituelle impertinence.
En vérité, Diane ne l’écoutait pas ; elle lisait à présent, mot à mot, la lettre du roi. Au milieu des protestations de son indéfectible amour, Henri annonçait sa probable réconciliation avec le pape Jules {23} et soulignait, dans cette perspective, sa volonté de se montrer plus sévère, en France, à l’égard des hérétiques.
En codicille, il évoquait le mariage, plus que jamais souhaitable, d’Horace Farnèse, petit-fils du précédent pape, et de sa propre fille naturelle, Diane de France {24} .
Cette dernière intention plut beaucoup à la duchesse : l’enfant légitimée, plus même que sa filleule, était en effet sa protégée.
— Le royaume de Saint Louis ne devrait jamais s’éloigner de Rome, soupira-t-elle, oubliant peut-être qu’elle avait plaidé, naguère, contre le pape et ses affinités impériales.
Diane ignorait, comme tout le monde à la Cour, que le petit Caboche lui-même était issu d’une famille adepte de la Réforme. L’eût-elle appris, du reste, qu’elle lui aurait sans aucun doute retiré sa confiance.
— Nous aurons raison, un jour, de ces Luthériens, de ces Calvinistes et autres mécréants de même farine. Tu sais ce dont je parle...
— Fort peu, madame.
— Vraiment ? Cela n’est pas plus mal.
— Quoique...
La duchesse, qui s’apprêtait à revenir au chapitre des Châtillon, dévisagea soudain le secrétaire.
— « Quoique » ?
— Il faut, madame, que je vous entretienne d’une chose un peu fortuite, et de peu de conséquence au demeurant, mais dont je crois deviner qu’elle pourrait vous intéresser.
— Oui ?
Il passa ses doigts dans sa tignasse.
— Vous connaissez, n’est-ce pas, les frères de Coisay... Ils étaient écuyers à la Cour, du temps du feu roi... Gautier et Simon de
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