Marco Polo
et du Maroc. (Je marmonnais toujours, incapable de mettre un
terme à mes spéculations.) Il est impressionnant d’imaginer que l’on pourrait,
rien qu’en voguant, rentrer d’ici jusque chez moi !
— Mieux vaudrait ne pas essayer, affirma Fung
d’un air entendu. Bien peu, hormis Hui-chen, ont survécu à un typhon en pleine
mer. Or ce genre de tempête fait rage assez souvent, entre ici et les îles du
Japon. Par deux fois déjà, le khan Kubilaï a tenté de conquérir cet empire,
lançant pour l’envahir des flottes de chuan bourrés de guerriers. La
première fois, il en envoya trop peu, les Nains les repoussèrent. La seconde,
il jeta à l’assaut des centaines de vaisseaux et presque un tuk d’hommes
de troupe. Mais le tai-feng se leva et ravagea sa flotte, faisant à
nouveau échouer l’invasion. J’ai ouï dire que les Nains, reconnaissants envers
la tempête, l’ont baptisée kamikaze, ce qui, dans leur fruste langage,
signifie « vent divin ».
— Malgré tout, poursuivis-je, ruminant toujours
mes pensées, si la tempête sévit seulement entre ici et le Japon, au cas
où Kubilaï s’emparerait un jour de ces îles, on pourrait toujours, en partant de
là-bas, naviguer en toute sécurité vers l’est...
Mais Kubilaï ne tenta jamais plus l’aventure et ne
prit jamais ces îles. Aussi ne voguai-je jamais vers elles, ni nulle part
ailleurs en direction de l’est. J’eus l’opportunité de croiser un certain temps
sur la mer de Kithai, mais jamais bien longtemps loin du rivage. Il m’est donc
impossible de confirmer si, comme je l’ai supposé, cette lointaine terre de
Fu-sang correspondait aux rivages occidentaux de l’Europe connue ou si c’était
une terre nouvelle, encore ignorée à ce jour. Je regrette de ne pas avoir pu,
en cette occasion, satisfaire ma curiosité. J’aurais bigrement aimé m’y rendre,
pour explorer les lieux...
29
Toujours en compagnie du magistrat et de nos
serviteurs, Hui-sheng et moi quittâmes le quai du palais pour monter dans un
sampan en bois de teck sculpté de dessins fort élaborés et prîmes place sous un
dais de soie aussi sophistiqué et aux extrémités aussi relevées que les toits
en pagode des Han. Une douzaine de rameurs au torse nu, si bien huilés qu’ils
luisaient à la pâle clarté de la lune, nous firent glisser sur un canal sinueux
jusqu’à notre nouvelle demeure. En cours de route, Fung nous indiqua certains
lieux remarquables.
— La petite avenue qui remonte sur votre gauche
est « l’Allée des douces brises et des vents caressants ». En
d’autres termes, celle où l’on fabrique les éventails. Ceux d’Hangzhou sont
renommés dans tout le pays, c’est ici qu’a d’ailleurs été inventé l’éventail
pliant. Certains possèdent jusqu’à cinquante branches, toutes ornées de
peintures exquises, souvent quelque peu coquines. Près d’une centaine des
familles de la ville se consacrent à cette activité depuis plusieurs générations.
Un peu plus loin, il continua :
— Ce bâtiment sur notre droite est le plus
imposant de la ville. Haut de seulement huit étages, il n’est pas le plus
élevé, mais il s’étend en longueur d’une rue à l’autre, et en largeur d’un
canal au suivant. C’est le marché couvert permanent de Hangzhou, qui est, je
crois, le seul de ce genre à Manzi. À l’intérieur, on vend dans une centaine de
boutiques les marchandises trop fragiles pour être exposées en plein air :
meubles de style, ouvrages d’art, biens périssables, jeunes esclaves et autres.
Plus loin encore, il ajouta :
— Ici, à l’endroit où le canal s’élargit, nous
arrivons à Xi Hu, le lac de l’Ouest. Apercevez-vous cette île brillamment
illuminée, au milieu ? Même à cette heure-ci, de nombreuses barges et autres
sampans y sont amarrés. Certains visiteurs sont venus se recueillir dans les
temples, mais la plupart y vont pour faire la fête. Vous entendez la
musique ? Les auberges restent ouvertes toute la nuit et dispensent
boissons et bonne chère à loisir. Certaines sont ouvertes à tous, d’autres ne
louent qu’à de riches familles pour organiser leurs fêtes privées, mariages ou
banquets.
Toujours aussi obligeant, il nous indiqua
ensuite :
— La rue qui part sur notre droite, vous le
voyez, se trouve éclairée de nombreuses lanternes en soie rouge pendues devant
les portes. Elles signalent l’entrée de maisons de tolérance. Hangzhou
réglemente
Weitere Kostenlose Bücher