Marco Polo
convoquée ici pour m’enchanter de
compliments au sujet de votre esclave Ali Baba. Est-ce bien cela ?
Je toussai à plusieurs reprises et tentai :
— Nar...
Après une nouvelle quinte de toux, je rectifiai :
— Ali peut en effet se vanter de bon nombre de
vertus, de talents et de connaissances.
C’était tout ce que j’étais capable de bredouiller
sans rougir de honte et sans mentir effrontément. Après tout, mon Dieu, s’il y
avait une chose véridique qu’on pût dire de Narine, c’est bien qu’il pouvait se
vanter !
Mar-Janah eut un léger sourire et confessa :
— Si je m’en remets aux dires de certains de mes
compagnons esclaves, ils ne sont pas parvenus à juger ce qui est le plus
grandiose : l’admiration que voue Ali à sa propre personne ou le souffle
avec lequel il l’exprime... Mais ils conviennent que ce sont des traits
remarquables chez un homme qui a si pitoyablement échoué à réussir quoi que ce
soit d’autre.
Je restai bouche bée devant elle. Puis
j’observai :
— Attendez une minute. Vous semblez bien
connaître Nar... euh, Ali. Pourtant, vous ne devriez même pas savoir qu’il
réside ici.
— Je sais bien plus que cela. Je sais que les
autres esclaves ont tort de se moquer de lui comme ils le font. Lorsque j’ai
rencontré Ali Baba, il était vraiment, sans restriction, tout ce qu’il prétend
être aujourd’hui.
— J’ai du mal à le croire, répliquai-je
platement. Puis, avec plus de courtoisie, je proposai :
— Voudriez-vous prendre le thé avec moi ?
Je frappai dans mes mains ; Buyantu surgit si
promptement que je me doutai qu’elle avait dû nous écouter, jalousement postée
derrière le rideau de l’entrée. Je commandai du cha pour la visiteuse,
du pu-tao pour moi, et Buyantu sortit.
Je me retournai vers Mar-Janah.
— J’aimerais en savoir plus... à votre sujet et à
celui d’Ali Baba.
— Nous étions jeunes, alors, confia-t-elle,
absorbée dans ses souvenirs. Les bandits arabes surgirent au galop de derrière
les collines, fondirent sur ma voiture et tuèrent le cocher. Ali n’était que le
postillon, ils lui laissèrent la vie sauve. Ils nous emmenèrent jusqu’à leurs
grottes cachées dans les collines et obligèrent Ali à être le messager chargé
de transmettre à mon père leur demande de rançon. Je le sommai de refuser, ce
qu’il fit. Voyant cela, ils éclatèrent de rire, le battirent de la façon la
plus cruelle et l’enfermèrent dans une grande jarre d’huile de sésame. Cela
attendrirait, assuraient-ils, son inflexibilité.
Je hochai la tête.
— C’est une vieille habitude arabe, confirmai-je.
Cela ramollit plus que l’inflexibilité, je vous prie de le croire.
— Mais Ali Baba ne se laissa pas attendrir. Pour
ma part, au contraire, je tâchai de jouer le jeu. Je feignis de ne pas être
restée insensible au charme du chef de leur bande, alors que c’était du dévoué
et loyal Ali que j’étais tombée amoureuse. Cette ruse me valut quelque liberté,
et, une nuit, je m’arrangeai pour libérer Ali de sa jarre et lui procurai une
épée.
Buyantu revint, accompagnée de Biliktu, chacune
portant une boisson. Elles servirent un bol à Mar-Janah et me donnèrent un
gobelet, s’attardant à toiser d’un regard insistant la jolie visiteuse comme si
elles craignaient que je ne sois en train de recruter une quatrième partenaire,
qui eût été fort mal acceptée dans notre ménage à trois. Je leur fis signe de
se retirer et encourageai Mar-Janah à poursuivre :
— Et donc ?
— Tout se passa bien. Sur le conseil d’Ali, je
continuai de simuler la plus totale soumission et m’abandonnai, cette nuit-là,
au désir du chef des bandits. Lorsque je l’eus entraîné à son degré le plus
vulnérable, Ali, comme prévu, bondit à travers les rideaux du lit et l’égorgea.
Puis, bravement, il nous fraya un chemin parmi les autres qui, éveillés,
convergeaient dans notre direction, et nous réussîmes à nous emparer des
chevaux. Allah eut pitié de nous, et nous pûmes prendre la fuite.
— Tout cela semble incroyable...
— Le seul inconvénient de notre plan était que j’avais
dû fuir entièrement nue. (Sur ces mots, elle détourna la tête dans un mouvement
de pudeur.) Cela me rendit la tâche délicieusement facile, toutefois. Nous
passâmes le reste de la nuit dans l’accueillante clairière d’une forêt où je
pus remercier Ali comme il le méritait.
— Récompense
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