Marguerite
résista pas. Une haine féroce meurtrissait son corps, lui retirant l’ultime force de la moindre plainte.
Il la maîtrisait. Elle ferma les yeux, récitant mentalement une prière, certaine de sa fin imminente. Finalement, l’homme fit entendre un grognement affreux puis se retira.
Il reprit son souffle et se reculotta rapidement en contemplant sa victime.
— Pas un mot à quiconque ! Ce sera notre petit secret, grimaça-t-il en se penchant sur elle. Rappelle-toi bien ça, siffla-t-il, méchamment. Tu ne parles à personne, sinon, je jure que je te tue. Tu m’as bien compris, gueuse ?
Marguerite hocha la tête en signe d’assentiment. Il la repoussa violemment une dernière fois. La jeune fille s’effondra et perdit connaissance.
*****
— Marguerite ? Marguerite ?
Des profondeurs de son cauchemar, Marguerite entendait une voix inquiète qui l’appelait. Il faisait noir. Elle avait froid. Mais où était-elle ?
— Marguerite, mais que s’est-il passé ? demandait Emmélie.
Horrifiée, la jeune fille contempla le jupon taché de sang et les jambes nues de sa cousine qu’elle venait de découvrir, dans le fond d’une stalle de l’écurie, recroquevillée sur elle-même. Emmélie s’agenouilla près de Marguerite et replaça délicatement la jupe relevée, repliant avec précaution le corsage déchiré avant de caresser les cheveux de son amie. Son bonnet blanc était enfoncé dans le foin.
Marguerite ouvrit les yeux et se releva faiblement.
— Que s’est-il passé ? Mais que s’est-il passé, doux Jésus ? murmura-t-elle.
Alors, quelques larmes coulèrent doucement sur les joues de Marguerite. Suivirent une série de petits sanglots sourds. Elle se redressa finalement pour se réfugier dans les bras de sa cousine qui la serra contre elle. Un violent tremblement secoua le corps meurtri, une secousse terrifiante qui glaça les sangs d’Emmélie. Le cri silencieux d’une âme brisée.
— Ne bouge pas, dit Emmélie en emmitouflant Marguerite dans son manteau sali par la boue. Ne bouge surtout pas d’ici, je reviens tout de suite. Je cours chercher notre homme pour te ramener à la maison. Ne crains rien, je suis là !
Emmélie sortit de l’écurie en courant, à la recherche de secours.
Dehors, dans le lointain, les cloches de l’église du village sonnaient l’angélus de midi.
Chapitre 4
Monsieur Boileau
Augustin Proteau maniait le rasoir avec art. L’instrument coupant sillonnait les joues poupines et le menton de Monsieur Boileau, enduits d’une mousse bien savonneuse.
Le bourgeois s’abandonnait sans crainte aux gestes habiles de son valet, savourant ce premier moment de la journée où il avait l’esprit clair et pouvait réfléchir sans se faire déranger par des soucis domestiques. Ce matin, Monsieur lioileau songeait qu’il lui fallait trouver de toute urgence un nouveau fermier pour s’occuper de son verger. Même s’il y avait encore deux bons mois avant que n’arrive le temps de la taille des arbres, dénicher un homme habile se révélerait une tâche délicate. Il ne s’agissait pas seulement d’engager un bon fermier, il fallait trouver un jardinier expérimenté, un homme au fait des derniers développements de l’art agricole qui pourrait entretenir la belle plantation de plusieurs centaines de pommiers et de poiriers qui faisait la fierté du bourgeois de Chambly. A tout le moins, un homme capable d’appliquer les règles et conseils que lui-même prodiguait scrupuleusement. « Les bons jardiniers sont si rares de nos jours», déplorait-il souvent.
L’art difficile de tailler comme il se devait un arbre fruitier ne s’improvisait pas, et Monsieur Boileau en avait longuement appris les principes. Dans sa bibliothèque se trouvaient plusieurs traités parmi les plus fameux de France et d’Angleterre. Il avait bien étudié cette science nouvelle, la pomologie, dans le célèbre volume de Jean Herman Knoop : Pomologie ou description des meilleures sortes de pommes et de poires, et suivait de près, chaque printemps, la taille des arbres et l’installation des ruches au verger. Les abeilles stimulaient la pollinisation, lui avait appris monsieur Knoop. Le grand pomologue avait bien raison puisque, bon an mal an, les centaines de minots de Calvilles rouges et blanches, de pommes grises de Montréal, de Bourassa ou de ces belles poires bon-chrétien, réputées sur les étals des marchés lui rapportaient un bon bénéfice.
— Monsieur est
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