Marguerite
du déshonneur.. Ça me fait rire, tout ce bruit. Grand outrage que d’avoir un petit dans le ventre !
— Mémé, c’est moi qui ai la chance d’épouser votre Marguerite.
— Je ne manquerai pas de dire un bon mot pour vous, quand je serai près du bon Dieu, docteur Talham. En attendant, vous aurez un beau brin de fille à câliner dans votre lit.
— Je vous dis au revoir, Mémé Lareau.
Talham allait quitter la pièce, mais la vieille l’arrêta.
— Méfiez-vous du père, ajouta-t-elle d’un ton étrange.
— Vous le connaissez ? demanda Talham, interloqué.
— Non, personne ne le connaît, sauf Marguerite, comme de fait. Mais elle n’a pas peur pour rien.
—Vous croyez qu’elle a peur ?
Ce dernier avertissement laissa le docteur perplexe. Il réapparut dans la pièce commune en se disant qu’une fois mariée, Marguerite n’aurait plus de raison d’avoir peur puisqu’il serait l{ pour la protéger.
Il s’approcha de sa future épouse.
— Avant de partir, j’ai un présent pour vous, dit-il en déballant un paquet qu’il avait apporté avec lui.
Une cordelette de soie retenait un vieux linge de coton dans lequel Marguerite découvrit plusieurs aulnes de tissu.
— Oh ! s’exclama la jeune fille en s’extasiant devant une étoffe de taffetas bleu et chatoyant.
Marguerite n’avait jamais rien vu d’aussi merveilleux et lissait le tissu avec précaution en répétant : « Que c’est beau !
Que c’est beau ! » Même Sophie Boileau ne possédait pas de robe faite d’un tissu aussi soyeux.
Victoire contempla l’étoffe et leva sur Talham des yeux pleins de reconnaissance. Ce dernier expliqua à Marguerite :
— Ce tissu a été acheté il y a longtemps par ma première épouse. Elle devait s’en faire une robe pour assister aux noces de sa jeune sœur avec le notaire Faribault. Malheureusement, elle a été emportée par la maladie quelques jours auparavant. Je l’avais gardé. Voyez-y le gage de mon amitié pour vous, et faites-vous belle pour nos noces. Ce bleu azuré vous ira à merveille.
La jeune fille lui fit à nouveau une petite révérence, tandis que ses frères et sœurs dévalaient l’escalier en se bousculant pour admirer le présent reçu par leur sœur.
Mais le regard sévère de leur mère arrêta net les doigts curieux.
Talham prit alors la main de la jeune fille et la baisa. Les enfants se mirent à rire, peu habitués à voir autant de cérémonie autour de leur grande sœur. Mais { peine eut-il franchi le seuil de la ferme que Marguerite monta l’escalier quatre { quatre pour s’enfermer dans la chambre des filles et pleurer à chaudes larmes.
Victoire et François se regardèrent sans dire un mot. Pour leur part, ils étaient grandement soulagés. Le malheur annoncé n’arriverait pas. Victoire avait repris sans hésiter ses occupations et ordonna aux enfants de se mettre à table.
Mais ce midi-là, Marguerite sauta le dîner et sa mère n’insista pas.
*****
La carriole de Monsieur Boileau s’engouffra sur le chemin du Roi en direction du faubourg Saint-Jean-Baptiste et s’arrêta devant le manoir de Rouville. Le bourgeois enviait au seigneur sa demeure cossue aux lignes élégantes d’inspiration géorgienne, la symétrie des larges fenêtres et le pignon central orné d’une fenêtre en anse de panier, un effet du style palladien qu’affectionnaient les Britanniques.
— Je ne serai pas long, dit-il à Augustin, malheureux d’être obligé de sortir par une journée aussi froide. Va te réchauffer aux cuisines, je t’y ferai appeler dès que j’aurai terminé mes affaires avec monsieur de Rouville.
La porte s’ouvrit sur un domestique qui débarrassa le visiteur et le mena à la grande chambre, une pièce garnie de quelques beaux meubles. En connaisseur, Boileau admira le bahut { deux panneaux et tiroirs agrémentés d’élégantes ferrures forgées. A côté d’un grand miroir étaient suspendus les portraits des ancêtres Rouville qui veillaient silencieusement sur les aîtres du manoir. Jean-Baptiste Hertel de Rouville, premier seigneur en titre, posait dignement sous sa perruque Louis XIV, dans son bel habit bleu ceinturé de rouge. René-Ovide, l’ancien juge honni et père de Melchior de Rouville, tentait désespérément de faire bonne figure, la perruque blanche de juge trop étroite sur une tête au visage gras et disgracieux. Il ne manquait à cette galerie que le portrait du maître de céans, ce dernier retardant
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