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Mélancolie française

Mélancolie française

Titel: Mélancolie française Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric Zemmour
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jusqu’à la haine de soi ?
    Question aux mille réponses. La gaullienne : la bombe atomique et le verbe antiaméricain. La pompidolienne : l’industrie. À l’allemande. La socialiste : la patrie des droits de l’homme. À la suédoise. La France, chevalier du droit international et de la paix : d’Aristide Briand (« guerre à la guerre », crie-t-il à la tribune de la SDN en 1931) jusqu’à Dominique de Villepin (ne faites pas les mêmes bêtises que nous, supplie-t-il les Américains de la tribune de l’ONU, n’imitez pas Napoléon en Espagne, ne soyez pas gaullistes en restant la dernière nation souveraine !).
    Pour justifier la « collaboration » avec le vainqueur allemand de 1940, Drieu la Rochelle avait justement excipé de cette « exiguïté » française. Le premier, dès 1944, François Mauriac avait opposé à ces arguments matériels une grandeur immatérielle, d’ordre spirituel, la justice, les droits de l’homme, etc. : « La nation française a une âme. Oui, une âme. » Il revient paradoxalement à leur ami commun (et de Mauriac et de Drieu), André Malraux, de donner une réponse opérationnelle et laïcisée à cette querelle existentielle. Au milieu du XX e siècle, en effet, par un ultime effort, la France tenta de retrouver un rôle mondial par la force de frappe culturelle. La République reprenait l’idée géniale de nos rois, de François I er à Louis XIV, qui eux-mêmes avaient imité le mécénat des princes italiens ; mais elle ne disposait plus de la projection armée de nos soldats qui alimentaient alors notre besace artistique en hommes et en œuvres. On se souvient du mot délicieux de Vivant Denon, fondateur du musée du Louvre, qui donnait des consignes précises de pillage aux soldats de la Grande Armée, et à qui on arracha, après les Cent-Jours, les œuvres volées et rendues à toute l’Europe : « Mais qui saura les voir désormais ? »
    En 1959, le général de Gaulle offrit à son « génial ami », André Malraux, un ministère de la Culture à sa mesure, sur les décombres du modeste secrétariat aux Beaux-Arts de la IV e République. Dans l’esprit de Malraux, la France devait renouer avec son rôle de phare révolutionnaire mondial, conquis en 1789 et perdu en 1917 ; devant en abandonner les aspects politiques et sociaux à l’Union soviétique et aux pays pauvres du tiers-monde, elle consacrerait toute son énergie et tout son talent à propager la révolution mondiale par l’art.
    Nouveau Monsieur Jourdain, Malraux faisait du « soft power » sans le savoir. La France ne manquait pas d’atouts. Dans la première moitié du XX e siècle encore,
    Paris demeurait la capitale mondiale de la peinture moderne ; le cinéma français fut le seul (avec l’allemand) à résister au rouleau compresseur d’Hollywood, et les grands écrivains américains venaient en France humer l’air vivifiant de la première puissance littéraire. « Il n’y a qu’une seule littérature au monde, la française », plastronnait alors Céline. Dans les années 1960 encore, la chanson française – Aznavour, Brel, Brassens, Ferré, Barbara, Bécaud, etc. – s’avérait la seule à tenir la dragée haute à la déferlante anglo-saxonne partout irrésistible par l’alliage rare de talents exceptionnels et de puissance commerciale et financière.
    De Gaulle ne pouvait qu’être séduit ; il laissa la bride sur le cou à son glorieux ministre. Pourtant, le Général, par prudence de politique sans doute, sens du compromis avec les scories de l’époque, « car aucune politique ne se fait en dehors des réalités », amitié peut-être aussi, ne creusa jamais le malentendu qui s’instaura dès l’origine entre les deux hommes. De Gaulle était, dans ses goûts artistiques, un « ancien » ; il écrivait comme Chateaubriand, goûtait la prose classique d’un Mauriac bien davantage que celle torrentielle de son ministre de la Culture ; il préférait Poussin à Picasso, Bach à Stockhausen. La France était pour lui l’héritière de l’Italie de la Renaissance, et de la conception grecque de la beauté. Malraux, lui, était un « moderne » ; hormis quelques génies exceptionnels (Vermeer, Goya, Rembrandt), il rejetait en vrac l’héritage classique de la Renaissance, et lui préférait ce qu’il appelait « le grand style de l’humanité », qu’il retrouvait en Afrique, en Asie, au Japon, en Amérique précolombienne. Il jetait par-dessus bord la conception

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