Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
peuvent s’affranchir des habitudes dans lesquelles ils ont vieilli, la réclamation des officiers exécuteurs paraîtra ridicule et inadmissible ; mais dans un instant où la nation se régénère, où tous les privilèges sont détruits, où l’équité reprend ses droits, trop longtemps violés, où l’on proscrit les opinions erronées qui, depuis plusieurs siècles, obscurcissent les vertus d’un peuple ami du bien, il faut tonner contre les préjugés qui l’avilissent. Eh ! qu’importent ceux de plusieurs nations, de plusieurs siècles, lorsqu’ils sont contraires à la raison et à la loi. Puisqu’il n’y a point d’autorité sans la loi, puisqu’elle ne déclare point infâme l’état d’exécuteur, pourquoi le serait-il dans l’opinion ? Que les hommes réforment leurs mœurs, qu’ils apprennent à penser eux-mêmes : alors l’état qui aura de tout temps blessé leur délicatesse, qui leur aura paru contraire à l’humanité et à la nature, ne dégradera plus dans leur esprit le citoyen irréprochable qui y joindra la pratique des plus sublimes vertus.
Combien dans cette classe d’hommes maintenant si calomniés par les lâches qui les attaquent, parce qu’ils les croient sans appuis et sans défenseurs ( Nouvelle allusion aux journaux. ), combien parmi ces hommes que des journalistes sans frein comme sans pudeur veulent injustement rendre les victimes de la fureur du peuple, ont en quelque sorte forcé l’estime, quelquefois le respect de leurs concitoyens ! Quelques vieillards de la ville de Rennes se souviennent encore avec attendrissement des vertus de Jacques Ganier, mort depuis environ trente ans, après y avoir exercé l’office d’exécuteur pendant une longue suite d’années. Cet homme humain ne mit jamais à mort un criminel sans avoir été préalablement communier, pour expier en quelque sorte l’action qu’il allait commettre. Les magistrats du Parlement venaient jouer à la boule dans sa maison, située à l’une des extrémités de la ville, vis-à-vis du Mail, et quoiqu’il ne fût pas de leurs parties, ils ne lui témoignaient pas moins la plus grande estime et le prenaient pour juge dans tous les différends qu’occasionnait le jeu. Il donnait aux pauvres tout l’excédant de son strict nécessaire. Sa mort fut pour eux une calamité publique ; ils fondaient en larmes et parcouraient les rues en criant, avec l’accent de la plus vive douleur : « Nous n’avons plus de père ! » Pendant plusieurs années le peuple fréquenta son tombeau comme celui d’un saint.
Personne n’ignore les nombreux services que rendent les exécuteurs dans les différentes villes où ils demeurent. On sait avec quelle générosité et quel empressement ils administrent des secours gratuits aux citoyens de tous les rangs, et combien leurs connaissances en chirurgie, en médecine et en botanique ont opéré de guérisons désespérées. Serait-il donc juste d’exclure de la société des hommes qui s’en montrent si souvent les bienfaiteurs ?
Il nous reste maintenant à réclamer contre la dénomination de bourreaux (1) sous laquelle on désigne souvent ces hommes que la nécessité seule retient dans un état dont ils n’exercent jamais les fonctions sans un frémissement universel.
(1) On fait remonter en l’an 1260 l’origine, du nom de bourreau, sous lequel on désigne aujourd’hui l’exécuteur de la haute-justice. Ce nom, qui a été proscrit par les arrêts que nous citons, tire son étymologie d’un clerc nommé Borel, et non Bourette, comme on l’a prétendu. Cet homme possédait le fief de Bellencombre, à la charge de pendre les voleurs du canton. Mais comme il était ecclésiastique, et comme l’Église a prouvé dans toutes ses prières qu’elle n’aimait point le sang , il faisait faire ses exécutions à ses frais par un laïque. Le roi lui devait les vivres tous les jours de l’année, à cause de cette charge, qu’il était censé exercer lui-même, malgré sa qualité.
A peine Richard Borel eut-il été investi du fief de Bellencombre, qu’on s’habitua à l’appeler le Borel, et à nommer Boreaux tous ceux qui mettaient à mort les criminels. Ensuite on dit, par corruption, du nom propre Borel, le Bourreau, les Bourreaux. Cette dénomination n’était pas injurieuse alors ; mais elle l’est devenue depuis le XVI e siècle, c’est-à-dire depuis la naissance du préjugé injuste que nous combattons. (Note
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