Mon frère le vent
prit le deuxième paquet, l'ouvrit et répandit des racines.
— De l'ortie séchée. Ces racines sont bonnes pour le mal de dents. Écrase-les et maintiens-les sur la mâchoire enveloppées dans de l'herbe chauffée au-dessus des braises. Ramasse-la au printemps. On la trouve dans les endroits ombragés où se dressaient autrefois les vieux villages. Elle pousse comme un homme, haute et droite, avec une seule tige. Ficelle rouge, deux doubles nœuds.
Il poursuivit, les yeux sur les paquets, le bout de ses doigts se colorant au contact des herbes.
Mais tandis que Dyenen parlait, le froid s'infiltrait dans la poitrine du Corbeau. Il n'y avait là rien, ni pierres scintillant de pouvoirs spirituels, ni fourrures d'animaux sacrés, ni amulettes consacrées par des jeûnes ou des visions. Des herbes, rien que des plantes que tout le monde pouvait ramasser, que n'importe quelle femme pouvait faire bouillir, que n'importe quelle vieillarde pouvait utiliser contre le mal de dos, les fièvres ou les crampes dans les jambes.
Il avait abandonné les sculptures de Kiin contre le savoir d'un enfant.
Dyenen poursuivit sa tirade sur la douleur et les plantes, les tisanes et les poudres. Un feu de colère chassa le froid de la poitrine du Corbeau, une colère si intense qu'il n'arrivait pas à l'exprimer. Il resta donc assis en silence, sans accorder plus d'importance à la voix de Dyenen qui se réduisit au murmure de l'eau qui coulait près d'eux, au frémissement des branches de l'épicéa dans le vent. Puis il entendit l'appel bruyant et puissant d'un corbeau et, levant les yeux, il aperçut l'oiseau au-dessus de leurs têtes, la pointe de ses ailes courbée dans le vent, le soleil teintant l'extrémité noire de ses plumes de bleu, de vert et de rouge. L'oiseau s'éleva au fil des vents et le Corbeau sentit son cœur s'élever à son tour. Le vieil homme possédait le pouvoir. Il existait un moyen de se l'approprier.
Quand Dyenen eut discouru à propos de plusieurs paquets, il les reposa sur son sac en peau de lynx. Le Corbeau l'imita, sans y mettre le même soin. Les deux hommes se relevèrent et Dyenen dit :
— Ainsi, la transaction est accomplie. Médecine pour médecine. Chaque jour je t'enseignerai davantage, je t'apprendrai d'autres moyens d'utiliser les paquets. Je te montrerai les plantes, l'endroit où elles poussent, et ce à quoi elles ressemblent. Bientôt, tu en sauras autant que moi.
Le Corbeau posa ses yeux sur le vieil homme et secoua lentement la tête.
— Tu crois que la médecine des vieilles femmes, les herbes et les plantes, sont dignes de la valeur de mes sculptures ? demanda-t-il sans donner à Dyenen la chance de répondre. Je sais que tu possèdes le pouvoir. Je l'ai vu. Je suis venu chez toi. J'ai entendu des voix. Pourtant, tu étais seul. Ton pouvoir faisait trembler la hutte. Les chasseurs disent que tu sais appeler les animaux : le poisson, le caribou et le castor. Tu n'as rien partagé de cela avec moi.
Le Corbeau se détourna et entreprit de longer la rivière pour regagner le village. Le vieillard ne pipa mot et le Corbeau n'eut pas un regard en arrière pour s'assurer qu'il le suivait.
Une fois parvenu à la première maison, le Corbeau s'étonna de le trouver juste derrière lui. Il n'avait pourtant pas ralenti l'allure, car il ne s'était pas inquiété de savoir si Dyenen pouvait soutenir une telle cadence.
— Je vais te rendre les sculptures, dit le vieil homme en tendant la main vers le sac en peau de lynx.
— Un marché est un marché, rétorqua le Corbeau. J'ai dit que je te donnerais les sculptures et je le ferai, mais j'attends davantage en retour.
— Je n'ai rien de plus.
— Tu es chaman de tout ce village. Ne me dis pas que tu ne possèdes pas de pouvoir.
— Qu'est-ce qui est plus puissant que la terre ? Qu'est-ce qui est plus puissant que les plantes qui jaillissent de la terre ?
Le Corbeau se pencha pour ramasser la pousse brune d'une herbe d'assemblage qui poussait sur le sol spongieux.
— Tu prétends que ceci est plus puissant que le glouton, l'ours ou le loup ?
— Je dirais que chaque pouvoir est différent.
— Ne me prends pas pour un imbécile, insista le Corbeau. Je sais qu'il existe un pouvoir dans le sac médecine. Je resterai pour que tu m'enseignes ses secrets. Mais je sais aussi que tu possèdes le pouvoir d'appeler les animaux. Peut-être ai-je eu tort de penser que tu comprendrais le pouvoir de mes sculptures et que tu les
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