Mon frère le vent
Il existait un chemin qui menait du village aux collines où poussaient des baies. Elle traversa le bosquet, repéra le chemin qu'elle suivit jusqu'au village. Accroupie à côté du tas d'ordures près du flanc de l'ulakidaq, elle patienta. Une vieille femme arriva enfin, des paniers à baies vides à chaque bras. Kiin l'avait déjà vue mais était incapable de se rappeler son nom.
— Grand-mère, appela-t-elle. J'ai besoin de ton aide.
La vieille femme leva sur Kiin des yeux interloqués.
— Tu es la femme Morse qu'Aigle a trouvée au cours de sa longue chasse.
La femme avait de grandes oreilles et parlait haut comme pour les emplir de sa propre voix.
— Je suis Kiin, des Premiers Hommes, dit-elle avant de poursuivre en choisissant bien ses mots. Il faut que je voie Petite Plante. Pourrais-tu me la ramener ?
— Je suis vieille et tu es jeune, ricana la vieille. Ne peux-tu marcher jusqu'à son ulaq pour l'y voir?
Kiin désigna les paniers.
— Si je te promets de remplir tes paniers, iras-tu me la chercher ?
— Tu rempliras les quatre ? s'exclama l'aînée avec surprise.
— Les quatre.
— Aujourd'hui ?
— Oui.
Elle tendit les paniers à Kiin et regagna le village. Sa
démarche était mal assurée, comme celle de Shuku. Au bout de quelques pas, Kiin la rappela.
La vieille femme s'arrêta et la regarda par-dessus son épaule.
— Quand tu diras à Petite Plante de venir me voir, ne prononce pas mon nom.
— Je ne m'en souviens même pas, femme Morse, rétorqua la vieillarde, sarcastique.
— Quoi que tu dises, murmure afin que les autres n'entendent pas, ajouta Kiin.
La vieille femme plissa le nez et Kiin s'empara des paniers. La vieille haussa les épaules et se dirigea vers le village. Kiin recula dans les arbres qui bordaient le tas d'ordures. Elle attendit.
Le chef chasseur était jeune avec un visage sombre, des yeux enfoncés, un menton proéminent, des cheveux étrangement tirés en arrière et remontés au sommet du crâne. Son suk, pourtant décoré et frangé de coquillages, était en piteux état et son ulaq puait l'urine et la viande pourrie.
Queue de Lemming porta la main à son nez mais le Corbeau, conscient de l'insulte, s'empressa de lui saisir le poignet.
— Ce n'est pas pire que chez moi avant Kiin, lui chuchota-t-il.
Queue de Lemming rentra les lèvres et protesta avec un petit sifflement avant de sourire au chef chasseur. L'épouse du chef lui fit un signe. Les deux femmes servirent alors à manger aux deux hommes.
Ces derniers ne pipèrent mot tandis qu'ils se restauraient. La femme Ugyuun offrit de l'eau d'une vessie de phoque et, quand le chef se fut désaltéré, le Corbeau demanda :
— Beaucoup de commerçants s'arrêtent-ils ici ?
— Beaucoup viennent, répondit le chef. Beaucoup troquent.
— Ah ! dit le Corbeau en souriant. J'en suis heureux. Je comprends maintenant pourquoi tes hommes sont de si bons marchands. Un homme tel que moi doit faire attention dans un village comme celui-ci où beaucoup comprennent le commerce et sont durs en affaires.
Le chef éclata de rire.
— Ainsi tu vas rester avec nous ?
— Pas longtemps. Je suis venu pour faire un marché. Il me faut quelque chose pour un homme qui te ressemble beaucoup — le chef chasseur de notre village.
— Mes armes ne sont pas à vendre.
Le Corbeau leva les mains.
— Ce n'est pas pour la chasse. Notre chef est un vigoureux chasseur. Il y a trois étés, il a trouvé une bonne épouse, une femme des Premiers Hommes. Leur premier été ensemble, elle a donné naissance à un fils, mais il est mort. Depuis lors, elle a perdu trois bébés qui sont venus trop tôt de son ventre. Le chaman dit qu'elle a tant de chagrin d'avoir perdu son premier fils qu'elle ne peut donner un fils vivant au chef. Maintenant, elle ne mange plus, ne dort plus et ne parle que de rejoindre ses enfants dans les Lumières Dansantes.
— Il ferait mieux de la laisser mourir. Elle sera heureuse et il pourra prendre une autre épouse.
— Il n'en veut pas d'autre. Il est persuadé qu'elle sera heureuse si elle a un fils. Alors j'ai été envoyé pour trouver un fils, un enfant d'un village Premiers Hommes. Mon épouse m'a accompagné, ajouta le Corbeau en désignant Queue de Lemming du menton. Elle nourrit notre fils, Souriceau et a suffisamment de lait pour deux.
Le chef regarda Queue de Lemming et hocha la tête.
— Connais-tu un enfant, un mâle de peut-être six ou huit lunes que je
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