Mort à Devil's Acre
sa
clientèle fortunée. Max possédait une sensualité qui attirait les femmes, et un
goût très sûr pour sélectionner celles qui feraient les meilleures prostituées
– peut-être les initiait-il lui-même à la plus experte façon d’user de leurs
charmes ? La nature l’avait doté d’avantages physiques qu’Ambrose, même
avec son intelligence, ne pouvait espérer égaler.
Celui-ci, les yeux écarquillés, détailla le policier de haut
en bas.
— Je n’ai jamais entendu parler de vous ! s’exclama-t-il.
Vous devez être nouveau dans le secteur. Je ne vois pas ce que vous me voulez. J’ai
une clientèle haut placée. Vous seriez stupide d’essayer de me compliquer l’existence,
inspecteur.
Il s’interrompit pour voir si Pitt avait saisi le
sous-entendu.
— Je sais que vous avez une bonne clientèle, acquiesça
celui-ci en souriant. Mais peut-être moins qu’avant… depuis que Max Burton a
envahi le marché.
Déconcerté, Ambrose étreignit les pans de son peignoir et
les resserra autour de lui.
— Ah… Vous venez enquêter sur le meurtre de Max.
Il n’allait donc pas faire semblant de tomber des nues. Pitt
en fut soulagé, car il n’était pas d’humeur à tourner autour du pot.
— Oui. Vos affaires ne m’intéressent pas, Mr. Mercutt. Mais
Max a détourné une partie de votre clientèle et, peut-être, de vos
pensionnaires – inutile de le nier, vous perdriez votre temps.
Ambrose haussa les épaules et regarda ailleurs.
— Ce sont les risques du métier. Une année, les
affaires sont bonnes, la suivante, elles périclitent – tout dépend des filles. Ces
derniers temps, Max avait de la chance, mais un jour ou l’autre ses filles l’auraient
laissé tomber. Les prostituées de luxe sont comme ça : elles finissent par
s’ennuyer. Lorsqu’elles ont fini de rembourser leurs dettes, il leur arrive de
se marier et de sortir du circuit. Pour lui, cette période bénie n’aurait pas
duré longtemps.
En disant cela, Ambrose essayait peut-être de s’en persuader,
mais pour sa part, Pitt était enclin à croire Max tout à fait capable de
remplacer ses pensionnaires au fur et à mesure de leur départ. Mercutt dut
deviner ses doutes, car il se retourna pour le fixer d’un air de défi.
— Vous êtes-vous déjà demandé, inspecteur…
Sa voix était empreinte d’un léger sarcasme, comme si son
interlocuteur ne méritait pas vraiment ce titre.
— … comment Max parvenait à dénicher des femmes de
cette qualité ? Ces dames ne décident pas de vendre leurs charmes dans
Devil’s Acre pour se changer les idées ! Elles peuvent aisément se
prostituer dans leur milieu, si elles le désirent. Cela vous surprend, n’est-ce
pas ?
Il plongea son regard dans celui de Pitt, puis, n’y lisant
aucun étonnement, poursuivit, les traits durcis :
— Si vous voulez découvrir qui a tué et mutilé Max, cherchez
plutôt parmi les maris et les amants de certaines des femmes bien nées qu’il
avait amenées dans ce quartier. Croyez-moi, si je décidais d’éliminer un rival,
un bon coup de couteau serait amplement suffisant. Je le jetterais dans la
Tamise ou laisserais son cadavre dans un de ces trous à rats, au fin fond de
Devil’s Acre. Je ne l’abandonnerais pas au milieu de la rue haché en petits
morceaux, là où la police le découvrirait rapidement. Non, inspecteur…
Encore une fois, il eut une légère hésitation, faisant de ce
grade une insulte.
— Cherchez un mari ou un père dont la femme ou la fille,
séduite par Max, a accepté de se prostituer pour lui.
— Et comment s’y prenait-il, d’après vous, pour
convaincre une femme de ce milieu de travailler pour lui ? insista Pitt, avec
une pointe de doute dans la voix. Tout d’abord, où l’aurait-il rencontrée ?
— Naguère, il avait servi comme domestique dans les
beaux quartiers. Sans doute était-il resté en contact avec des… valets de
chambre.
Mercutt imprima à ce mot toute la haine qu’il éprouvait pour
Max et ses congénères.
— Du chantage, probablement. C’est là que vous
trouverez la clé de l’énigme, croyez-moi.
— Possible… concéda Pitt, affectant plus de scepticisme
qu’il n’en éprouvait réellement.
Le raisonnement ne lui paraissait pas dénué de bon sens, en
dépit de l’antipathie instinctive que lui inspirait Ambrose.
— Et comment expliquez-vous l’assassinat du Dr Pinchin ?
Ambrose leva les mains au ciel, d’un geste
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