Mort d'une duchesse
de celui qui hurlait.
Benno fut le seul homme à se relever. La ruelle avait été
récemment empruntée par les cochons. Biondello s’ébroua et traduisit ses
émotions par une bordée d’aboiements furieux. En défendant ses maîtres, il avait
enfreint les principes de sa jeune éducation, et il en était extrêmement
troublé. Sigismondo vit qu’un des agresseurs était armé d’un couteau et regarda
la victime de Biondello, gisant les yeux levés vers le ciel froid, du sang
perlant à ses lèvres et dégoulinant d’une oreille. Biondello, qui recouvrait
peu à peu son calme en constatant qu’il ne se passait plus rien, leva la patte
sur le cadavre le plus proche.
Sigismondo redressa l’homme qui lui était tombé dessus et
saisit sa tête entre ses larges mains.
— Parle-moi ! Ah… ! fit-il avant de
laisser échapper un fredonnement désapprobateur. Toujours personne pour
nous renseigner.
Il lâcha le corps inerte.
— Connais-tu un de ces types, Benno ?
Ce dernier s’arrêta un instant de leur faire les poches pour
examiner leurs visages.
— Non. À mon avis, ce sont des coupe-jarrets de taverne.
— Peut-être, mais qui les a engagés ? Benno, nous
devenons trop bons à ce petit jeu.
En entendant le mot « nous », un lent sourire se
dessina sur la lamentable barbe de Benno.
Le palais Bandini était une construction beaucoup plus
moderne que la Casa Di Torre. Si cette dernière représentait la fortune bien
établie, la résidence des Bandini avait été conçue pour montrer au monde que la
famille avait les moyens de s’offrir les architectes les plus à la mode. Un
portique classique encadrait l’entrée, et ses colonnes flanquaient des statues
de marbre bardées de muscles soutenant les armoiries des Bandini avec de plus
grands efforts peut-être que ne l’exigeait le bon goût. À l’intérieur, tout ce
qui pouvait être doré l’avait été, et chaque plafond présentait son ciel païen
peuplé de nymphes.
Benno fut privé de ces splendeurs. Il jugea plus diplomatique
d’attendre dans la rue, aussi bien par crainte d’exciter les sbires de Bandini en
raison de son affiliation encore récente que de se voir jeter dehors à cause de
sa crasse. Il s’installa donc confortablement et s’apprêta à tuer le temps en
reluquant les femmes intéressantes qui viendraient à passer.
Pendant ce temps son maître, après être passé devant une
représentation savante d’Apollon et Daphné en marbre, puis devant un vaste
bas-relief montrant une déesse récompensant la Piété – à moins que ce ne
fût la Science –, enfin à travers un hall encombré d’une forêt de
colonnes, fut introduit dans la superbe bibliothèque toute neuve d’Ugo Bandini,
garnie d’ouvrages qui lui avaient coûté une fortune et qu’il ne lirait sans doute
jamais, surtout si son fils mourait.
Depuis la dernière fois que Sigismondo l’avait vu, comparaissant
devant le duc, Bandini avait vieilli – plus encore que son ennemi Di
Torre, affecté par la perte de sa Cosima. Chacun des lugubres plis de son visage
s’était creusé et paraissait affaissé par le chagrin, et ses yeux examinaient
Sigismondo derrière des paupières enflées.
— Le duc sait-il que je vous ai demandé de venir ?
— Je ne travaille plus pour Sa Seigneurie, messire. Elle
n’a plus besoin de moi.
Une lueur soudaine brilla dans les yeux que les pleurs
avaient injectés de sang.
— Vous êtes donc libre de travailler pour un autre ?
Pour moi ?
Le fredonnement fut neutre, mais attentif.
— De quel travail s’agirait-il, messire ?
D’un geste curieusement furtif de la main, Ugo Bandini fit
signe à Sigismondo de s’approcher et, lorsque celui-ci fut à moins d’un pas de
lui, lui déclara dans un murmure rauque :
— Retrouvez la fille de Di Torre et je vous comblerai
de plus d’argent que le duc ne pourrait jamais vous en donner.
Si Sigismondo jugea la requête paradoxale, il n’en montra
rien et garda la tête poliment inclinée vers Bandini, de sorte que ce dernier
eut la désagréable impression de se trouver à confesse, ce qui lui fît songer
aux derniers sacrements qui seraient administrés sous peu à son fils. Il
faillit saisir la manche de Sigismondo afin de souligner l’urgence de sa tâche,
mais éprouva de la réticence à le toucher. Cependant, le silence attentif de son
interlocuteur le contraignit à fournir plus d’explications qu’il n’avait prévu.
— Sa
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