No Angel

premier derrière Slats et le second derrière Timmy et moi. Du point de vue de Slats et de son groupe, les insignes représentaient une phase nouvelle, épuisante, de l’opération. Ils entraîneraient des mois – peut-être des années – de travail supplémentaire. Ils signifiaient que le rythme qui nous était imposé depuis plusieurs semaines continuerait et, selon toute probabilité, s’intensifierait. Mon groupe croyait que nous obtiendrions de meilleures informations quand nous serions membres à part entière, que nous aurions accès au premier cercle des Hells Angels. Les trente armes de poing que Joby m’avait demandées confirmaient cette conviction. Si nous parvenions à réaliser une vente de cette ampleur – d’un État à un autre, de surcroît –, l’inculpation dans le cadre de la loi sur le crime organisé serait d’autant plus solide. Je savais que ce n’était que la partie visible de l’iceberg. Timmy tentait de plus en plus souvent de convaincre Slats. Il prenait passionnément partie en faveur de la poursuite de l’opération jusqu’à son terme. La marmite de Black Biscuit ne débordait pas encore, mais elle bouillonnait sur le gaz.
    Timmy et moi on vit l’équipe, le 4, au Carré. Je dis aux membres de ne pas s’inquiéter, que j’avais un plan qui nous permettrait de devenir rapidement membres à part entière. J’ajoutai qu’il était risqué, que nous ne réussirions peut-être pas, mais que, dans le cas contraire, il assurerait notre position. Naturellement, ils demandèrent de quoi il s’agissait. Je répondis que je ne pouvais pas entrer dans les détails, mais que je le ferais la semaine suivante… je le promettais.
    Après la réunion, je sortis fumer une cigarette près des poubelles. Il n’y avait ni lune ni nuages ; rien ne réfléchissait les lumières de Phoenix. Le ciel était une flaque d’encre infinie, suspendue au-dessus de moi. Slats sortit. Il cracha du jus de chique qui fit un bruit d’explosion sur le trottoir. Il ouvrit une bière et me la donna. Il en avait également une. Il me demanda ce que j’avais l’intention de faire. Je bus quelques gorgées, puis je répondis :
    — C’est simple, Joe. On va tuer un Mongol.

36
 
MOBILISATION
    Juin 2003
     
    Ça ne plut pas à Slats. Ça ne lui plut pas du tout. Je n’appréciai pas que ça ne lui plaise pas. Il dit que c’était insensé. Je répondis que c’était parfaitement sensé. Il m’expliqua que ce n’était pas ce qu’il voulait dire… c’était effectivement sensé du point de vue des Angels, mais pas du nôtre. Il me rappela qu’on était les bons. Il ajouta que ça ne se ferait pas. Il sous-entendait qu’il arrêterait tout avant.
    Je répondis :
    — Je t’emmerde. Ça se fera et ça se fera bientôt.
    Il prit une profonde inspiration, cracha du jus de tabac et écrasa sa canette de bière dans sa main. Un calme étrange s’empara de lui.
    — Jay, le meurtre engendre le meurtre. C’est simplement trop risqué. Peut-être que tu mourras, peut-être pas – merde, peut-être que tu te fous de mourir –, mais montrer un meurtre à ces types ? Je ne le sens pas. Tu risques de déclencher une guerre entre motards et de te retrouver en plein milieu.
    Il avait raison. Je m’en foutais.
    — Mec, c’est un risque que je suis prêt à prendre.
    J’écrasai ma cigarette et m’en allai.
    Je ne sais pourquoi Slats ne mit pas aussitôt un terme à l’opération – tout comme je ne savais pas pourquoi Gwen n’avait pas demandé le divorce quand je m’étais conduit comme un vrai crétin à l’égard de Dale –, mais il n’en fit rien. Je crois aujourd’hui que c’est parce qu’il n’était pas prêt. Il n’avait pas fini de préparer ses mandats. Il lui fallait un peu de temps. Nous étions tous les deux dans le même cas. La course était lancée.
     
    Je vis Chris, mon ancien équipier. Je vis Timmy. Je vis Shawn Wood, agent de l’équipe qui estimait que nous avions entièrement raison de vouloir devenir membres à part entière. Je revis Chris.
    On mit un joli petit complot sur pied.
    Le plan était simple, et plus j’y réfléchissais plus je me persuadais qu’il ne pouvait pas échouer. Nous demanderions aux Angels l’autorisation de tuer un Mongol, puis nous passerions à l’acte. Nous le ferions au Mexique, où les Angels ne pourraient pas vérifier grand-chose. Chris demanda comment je pouvais les amener à participer, et si je pouvais