No Angel
à 140 sur Superstition Freeway. Timmy se tourna vers moi et secoua la tête. Je compris ce qu’il voulait dire. J’étais épuisé et il fallait encore que nous rédigions nos rapports, puis que nous nous levions et remettions ça le lendemain matin. Et il n’était même pas très tard : nous en étions encore à réchauffement.
Au clubhouse, Rockem servit une nouvelle tournée de bière et de Jack Daniel’s. Je bus le bourbon d’un trait et fis durer la bière. Puis je dis que nous devions partir. Bad Bob, hôte parfait, demanda :
— Vous êtes sûrs de vouloir rentrer ?
Je crus qu’il allait proposer de demander à quelqu’un de nous raccompagner. Mais il sortit de derrière le bar un sachet en plastique rempli de poudre blanche et reprit :
— Parce que je peux vous proposer un petit quelque chose si vous avez besoin de planer comme il faut.
Pops répondit qu’il avait décroché, Rudy qu’il en avait. Je dis que nous devions nous mettre au boulot tôt le lendemain, Timmy, Carlos et moi, et que j’en avais pris pendant beaucoup trop longtemps. Bad Bob haussa les épaules.
— Comme vous voulez. À bientôt.
Ouais. À bientôt.
10
SLUMMING
Août 2002
Pour les Hells Angels, seuls comptent leur club et leurs frères. Une de leurs devises est : « Ne cède face à aucun homme, aucune loi, aucun Dieu. » Ce sont des hommes libres. La pratique de la moto est le fondement de cette liberté. Leurs Harley-Davidson sont les véhicules de leur émancipation. Émancipation vis-à-vis des règles et des attentes de la société, d’une existence de travail et d’obligations, des autres hommes, des épouses, des petites amies et des familles. Ils ont, évidemment, des petites amies et des emplois, mais tout passe après leur statut de Hells Angels. Ils n’ont jamais bénéficié de ce qui permet aux gens ordinaires d’assurer leur sécurité et leur équilibre. Se sentant rejetés par la société, ils pensent pouvoir se comporter à son égard comme elle se comporte envers eux.
Il n’y a en somme, pour eux, qu’un tout petit pas entre le rejet de la société et le statut de hors-la-loi.
Le plus amusant est que leur apparence et leur mode de vie, conçus en opposition totale à l’existence que mènent les gens ordinaires, interdisent pratiquement de les distinguer les uns des autres. Un conformisme rigide encadre leur personnalité. Tous portent le même type de vêtements, conduisent la même marque de moto et adhèrent aux mêmes règles édictées par le club. Tous doivent assister une fois par semaine aux réunions de « l’église », et tous doivent payer une cotisation mensuelle. Les blousons demeurent à jamais la propriété du club, de même que les tatouages que tout nouveau membre doit arborer. Si, pour une raison quelconque, un frère quitte le club, les Hells Angels ont l’obligation d’aller chez lui et de prendre tous les vêtements, meubles, souvenirs faisant référence à eux… pas seulement pour le punir et le désinvestir, mais tout simplement parce que ces objets ne lui appartenaient pas. Si le membre en question les quitte en bons termes, la date de son départ est ajoutée à son tatouage ; s’il les quitte en mauvais termes, les tatouages sont effacés… dans certains cas grattés avec une râpe à fromage ou brûlés avec un fer à repasser réglé sur « coton ».
Teddy Toth et Bobby Reinstra, Hells Angels de Skull Valley que je ne connaissais pas en avril 2002, m’apprirent plus tard que les règlements étaient légion et couvraient pratiquement tous les domaines. Comparativement, le manuel des règles du football est un prospectus pour l’installation d’un Jacuzzi. Les motos, l’apparence, le comportement, les femmes, l’implication dans des activités criminelles et l’attitude à l’égard des rivaux font tous l’objet de réglementations. Quand on devient Hells Angel, la personnalité perd toute signification. On n’est plus John J. Johnson… on est un frère, un soldat, une unité inspirant la peur, un rayon de la roue de la violence. L’alcool devient gratuit et il y a toujours de la chatte à portée de queue. On est la rock star et ses deux gardes du corps. On est soudain Respecté avec un R majuscule. Si on est importuné par quelqu’un, le club tout entier a le devoir de maltraiter cette personne.
Voir, par exemple, Cynthia Garcia, paix à son âme.
Malgré cela, rien dans leur règlement n’était susceptible
Weitere Kostenlose Bücher