Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
Révolution semble devenue folle : « Comme Saturne, elle dévore ses enfants », dira le conventionnel Vergniaud, qui en sera victime lui-même. Depuis septembre 1792, tout tourne, en France, autour de la Convention. À partir d’avril 1793, à cause de la guerre et des menaces qui pèsent sur la Révolution, un Comité de salut public de douze membres fera office de gouvernement. Il émane de l’Assemblée, pouvoir central et unique du pays, puisqu’il n’y a, pour le contrebalancer, plus de roi et pas encore de président de la République. Est-ce pour cette raison que les frères conventionnels vont s’entre-tuer ?
La première grande opposition se joue donc, on vient de le dire, entre les Girondins et les Montagnards. Nous connaissons les premiers, ils étaient l’aile avancée au temps de la Législative, ils représentent maintenant les modérés. La place d’ultras leur a été ravie par ceux que l’on appelle les Montagnards, parce qu’ils siègent sur les bancs du haut de la Convention, ou encore les Jacobins, parce que c’est le nom du club où leurs leaders se réunissent. Au centre, la majorité de la chambre compose la « plaine » ou le « marais ». Certaines oppositions sont circonstancielles : quel sort doit-on faire au roi ? Faut-il ou non punir les responsables des massacres de Septembre ? Certaines autres engagent l’organisation sociale tout entière. Notre langue politique en garde d’ailleurs le souvenir : si on parle toujours de « jacobinisme » pour désigner une politique centralisée, c’est en référence aux lignes de fracture de 1793. Les Jacobins prônaient la supériorité de Paris. Les Girondins, favorables à un équilibre de toutes les régions, estimaient, selon le mot fameux d’un parlementaire, qu’il fallait réduire la capitale à son « 1/83 d’influence » – c’est-à-dire à n’être qu’un département parmi les 83 autres.
À partir d’avril 1793, les Girondins tentent de faire cesser les attaques inouïes lancées constamment contre nombre d’entre eux par les sans-culottes de la Commune de Paris, ce gouvernement parallèle qui tient l’Hôtel de Ville, appuyé par des meneurs comme Marat et Hébert : les deux sont mis en accusation mais ils sont aussitôt acquittés par des jurés acquis d’avance. Fin mai-début juin, la Commune répond par un coup de force : elle envoie ses canons devant l’Assemblée pour la sommer de lui remettre les députés girondins. L’Assemblée cède, les députés demandés sont arrêtés dans la foulée. La voie est libre pour les Montagnards. Ils peuvent donc commencer à se déchirer entre eux : Danton en était le grand homme, il prend du champ, appelle à la modération, et laisse la place, en juillet, à son rival Robespierre, qui, bientôt, doit lutter contre d’autres rivalités au sein du Comité de salut public ou, du côté des sans-culottes, contre la surenchère des hébertistes , ou enragés . On le voit, la capacité à se subdiviser semble infinie.
Qui, dans cette affaire, avait tort, qui avait raison ? Chacun, depuis deux siècles, essaie d’apporter à la question des réponses qui occupent des bibliothèques entières. On insistera sur un seul point : ces luttes sont d’autant plus tragiques que tous les conventionnels et leurs partisans étaient d’accord sur un point essentiel, ils étaient tous de fervents républicains. Il convient de le rappeler quand la propagande a parfois brouillé notre mémoire. Considérons par exemple un des actes les plus célèbres de la Révolution : l’assassinat de Marat dans sa baignoire (en juillet 1793) par une jeune Normande, Charlotte Corday. Contrairement à ce que croient trop de gens abusés par un reste de propagande jacobine, cette jeune femme n’avait rien d’une royaliste exaltée, elle était une jeune révolutionnaire girondine éprise de liberté, écœurée par le coup de force sans-culotte de juin, qui pensait qu’il en allait du bonheur commun de débarrasser le pays du fou sanguinaire qui l’avait inspiré. Il suffit de lire Marat pour constater qu’elle n’avait peut-être pas tout à fait tort.
Certains Girondins sont restés célèbres comme le philosophe Condorcet, qui dort au Panthéon, ou Mme Roland, femme d’un ministre et âme de ce courant politique. Elle mourut sur l’échafaud en s’écriant « Liberté ! que de crimes on commet en ton nom ». Certains autres n’ont guère eu le temps
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