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Pilote de guerre

Pilote de guerre

Titel: Pilote de guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Antoine de Saint-Exupéry
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Sans panique. Sans espoir. Sans désespoir. Comme par devoir.
    — Qui vous a donné l’ordre d’évacuer ?
    C’était toujours le maire, l’instituteur ou l’adjoint au maire. Le mot d’ordre, un matin, vers trois heures, avait soudain bousculé le village :
    — On évacue.
    Ils s’y attendaient. Depuis quinze jours qu’ils voyaient passer des réfugiés, ils renonçaient à croire en l’éternité de leur maison. L’homme, cependant, depuis longtemps, avait cessé d’être nomade. Il se bâtissait des villages qui duraient des siècles. Il polissait des meubles qui servaient aux arrière-petits-enfants. La maison familiale le recevait à sa naissance, et le transportait jusqu’à la mort, puis, comme un bon navire, d’une rive à l’autre, elle faisait à son tour passer le fils. Mais fini d’habiter ! On s’en allait, sans même connaître pourquoi !

XVI
    Elle est lourde, notre expérience de la route ! Nous avons parfois pour mission de jeter un coup d’œil, au cours d’une même matinée, sur l’Alsace, la Belgique, la Hollande, le Nord de la France et la mer. Mais la plus grande part de nos problèmes sont terrestres, et notre horizon, le plus souvent, se rétrécit jusqu’à se limiter à l’embouteillage d’un carrefour ! Ainsi, voici trois jours à peine, nous avons vu craquer, Dutertre et moi, le village que nous habitions.
    Je ne me débarrasserai sans doute jamais de ce souvenir gluant. Dutertre et moi, vers six heures du matin, nous nous heurtons en sortant de chez nous à un désordre inexprimable. Tous les garages, tous les hangars, toutes les granges ont vomi dans les rues étroites les engins les plus disparates, les voitures neuves et les vieux chars qui depuis cinquante ans dormaient, périmés, dans la poussière, les charrettes à foin et les camions, les omnibus et les tombereaux. On trouverait dans cette foire, si l’on cherchait bien, des diligences ! Toutes les caisses montées sur roues sont exhumées. On y vide les maisons de leurs trésors. Vers les voitures, dans des draps crevés de hernies, ils sont charriés pêle-mêle. Et voici qu’ils ne ressemblent plus à rien.
    Ils composaient le visage de la maison. Ils étaient les objets d’un culte de religions particulières. Chacun bien à sa place, rendu nécessaire par les habitudes, embelli par les souvenirs, valait par la patrie intime qu’il contribuait à fonder. Mais on les a crus précieux par eux-mêmes, on les a arrachés à leur cheminée, à leur table, à leur mur, on les a entassés en vrac, et il n’est plus là qu’objets de bazar qui montrent leur usure. Les reliques pieuses, si on les entasse, soulèvent le cœur !
    Devant nous quelque chose déjà se décompose.
    — Vous êtes fous, ici ! Que se passe-t-il ?
    La patronne du café où nous nous rendons hausse les épaules :
    — On évacue.
    — Pourquoi ? Bon Dieu !
    — On ne sait pas. Le maire l’a dit.
    Elle est très occupée. Elle s’engouffre dans l’escalier. Nous contemplons la rue, Dutertre et moi. À bord des camions, des autos, des charrettes, des chars à bancs, c’est un mélange d’enfants, de matelas et d’ustensiles de cuisine.
    Les vieilles autos surtout sont pitoyables. Un cheval bien d’aplomb entre les brancards d’une charrette donne une sensation de santé. Un cheval n’exige point de pièces de rechange. Une charrette, avec trois clous on la répare. Mais tous ces vestiges d’une ère mécanique ! Ces assemblages de pistons, de soupapes, de magnétos et d’engrenages, jusqu’à quand fonctionneront-ils ?
    — … Capitaine… pourriez pas m’aider ?
    — Bien sûr. À quoi ?
    — À sortir ma voiture de la grange…
    Je la regarde avec stupéfaction :
    — Vous… vous ne savez pas conduire ?
    — Oh !… sur la route ça ira… c’est moins difficile…
    Il y a elle, la belle-sœur et les sept enfants…
    Sur la route ! Sur la route elle progressera de vingt kilomètres par jour, par étapes de deux cents mètres ! Tous les deux cents mètres, il lui faudra freiner, stopper, débrayer, embrayer, changer de vitesse dans la confusion d’un embouteillage inextricable. Elle cassera tout ! Et l’essence qui manquera ! Et l’huile ! Et l’eau même qu’elle oubliera :
    — Attention à l’eau. Votre radiateur fuit comme un panier.
    — Ah ! La voiture n’est pas neuve…
    — Il vous faudrait rouler huit jours… comment le pourrez-vous ?
    — Je ne sais

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