Pilote de guerre
rencontré…
— Capitaine ?
— Quoi ?
— Formidable !
— Mitrailleur…
— Heu… Oui…
— Quel…
Ma question a sauté dans le choc.
— Dutertre !
— …taine ?
— Touché ?
— Non.
— Mitrailleur…
— Oui ?
— Tou…
J’ai comme embouti un mur de bronze. J’entends :
— Ah ! la ! la !…
Je lève la tête vers le ciel pour mesurer la distance des nuages. Évidemment, plus j’observe en oblique, plus les flocons noirs semblent entassés les uns sur les autres. À la verticale ils paraissent moins denses. C’est pourquoi je découvre, serti au-dessus de nos fronts, ce diadème monumental aux fleurons noirs.
Les muscles des cuisses sont d’une puissance surprenante. Je pèse d’un coup sur le palonnier, comme si je défonçais un mur. J’ai lancé l’avion en travers. Il dérape brutalement vers la gauche, avec des vibrations craquantes. Le diadème a glissé vers la droite. Je l’ai fait basculer d’au-dessus de ma tête. J’ai surpris le tir, qui tape ailleurs. Je vois s’accumuler, à droite, d’inutiles paquets d’éclatements. Mais avant que j’aie amorcé, de l’autre cuisse, le mouvement contraire, le diadème, déjà, a été rétabli au-dessus de moi. Ceux du sol l’ont réinstallé. L’avion, avec des hans ! s’écroule de nouveau dans des fondrières. Mais toute la pesée de mon corps a écrasé une seconde fois le palonnier. J’ai lancé l’avion en virage contraire, ou plus exactement en dérapage contraire (au diable les virages corrects !) et le diadème bascule vers la gauche.
Durer ? Ce jeu ne peut durer ! J’ai beau donner ces coups de pied géants, le déluge des coups de lances se recompose, là, devant moi. La couronne se rétablit. Les chocs me reprennent au ventre. Et, si je regarde vers le bas, je retrouve, bien centrée sur moi, cette ascension de bulles d’une vertigineuse lenteur. Il est inconcevable que nous soyons encore entiers. Et cependant je me découvre invulnérable. Je me sens comme vainqueur ! Je suis, dans chaque seconde, vainqueur !
— Touchés ?
— Non…
Ils ne sont pas touchés. Ils sont invulnérables. Ils sont vainqueurs. Je suis propriétaire d’un équipage de vainqueurs…
Désormais chaque explosion me parait, non nous menacer, mais nous durcir. Chaque fois, durant un dixième de seconde, j’imagine mon appareil pulvérisé. Mais il répond toujours aux commandes, et je le relève, comme un cheval, en tirant durement sur les rênes. Alors je me détends, et je suis envahi par une sourde jubilation. Je n’ai pas eu le temps d’éprouver la peur autrement que comme une contraction physique, celle que provoque un grand bruit, que déjà il m’est accordé le soupir de la délivrance. Je devrais éprouver le saisissement du choc, puis la peur, puis la détente. Pensez-vous ! Pas le temps ! J’éprouve le saisissement, puis la détente. Saisissement, détente. Il manque une étape : la peur. Et je ne vis point dans l’attente de la mort pour la seconde qui suit, je vis dans la résurrection, au sortir de la seconde qui précède. Je vis dans une sorte de traînée de joie. Je vis dans le sillage de ma jubilation. Et je commence d’éprouver un plaisir prodigieusement inattendu. C’est comme si ma vie m’était, à chaque seconde, donnée. Comme si ma vie me devenait, à chaque seconde, plus sensible. Je vis. Je suis vivant. Je suis encore vivant. Je suis toujours vivant. Je ne suis plus qu’une source de vie. L’ivresse de la vie me gagne. On dit « l’ivresse du combat…» c’est l’ivresse de la vie ! Eh ! Ceux qui nous tirent d’en bas, savent-ils qu’ils nous forgent ?
Réservoirs d’huile, réservoirs d’essence, tout est crevé. Dutertre a dit : « Fini ! Montez ! » Une fois encore, je mesure des yeux la distance qui me sépare des nuages, et je cabre. Une fois encore, je renverse l’avion vers la gauche, puis vers la droite. Une fois encore je jette un coup d’œil vers la terre. Je n’oublierai pas ce paysage. La plaine crépite tout entière de courtes mèches lumineuses. Sans doute les canons à tir rapide. L’ascension des globules se poursuit dans l’immense aquarium bleuâtre. La flamme d’Arras luit rouge sombre, comme un fer sur l’enclume, cette flamme d’Arras bien installée sur des réserves souterraines, par où la sueur des hommes, l’invention des hommes, l’art des hommes, les souvenirs et le patrimoine des
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