Prophétie
fait passer au second plan.
« Où va-t-on maintenant ? s’enquit Barak. À la maison pour attendre de nouvelles instructions ?
— Non. Allons rendre visite au jeune Piers. Pour déterminer si c’est un voleur. Il se peut qu’on soit obligés d’aller dans le Hertfordshire plus tard.
— Et si le vieux Maure est là ?
— Alors on trouvera quelque excuse. Et j’aimerais que tu cesses de l’appeler ainsi.
— Ce n’est pas une insulte, et je suis sûr qu’on l’a affublé de pires surnoms. Vous voulez que je vous aide à monter en selle ? »
Nous nous mîmes en route. Une demi-douzaine de mendiants s’étaient assemblés sur les marches de la chapelle. Aucun ne paraissait en bonne santé : deux d’entre eux s’appuyaient sur des béquilles et les autres étaient d’une pâleur maladive. Le garçon au crâne pelé qui avait gardé nos chevaux lors de notre première visite à Lockley et mame Bunce se trouvait encore là. Peut-être venaient-ils de sortir, attirés par l’activité autour du portail de la chartreuse et, à présent, ils se dirigeaient vers nous pour demander l’aumône, marchant normalement ou boitillant. « Fichez le camp ! cria Barak. Nous sommes pressés. »
Nous poursuivîmes notre chemin. « J’espère que Harsnet va les faire interroger, dit-il. Ils doivent se rappeler si quelqu’un a posé des questions sur la chartreuse.
— Bien sûr. Il est consciencieux et très méthodique.
— Il est un peu terre à terre, malgré tout, non ?
— Il ne déborde pas d’imagination, je te l’accorde.
— C’est un évangéliste zélé.
— Tu ne l’as jamais beaucoup aimé, pas vrai ? fis-je en souriant.
— Vous non plus, au début. Vous vous rappelez la façon dont il a manipulé la commission d’enquête ?
— Il est plus droit que la plupart des hommes qui travaillent à la Cour. Il a quelques principes et une certaine dose d’humanité. Il est peut-être parfois un peu lent, mais il n’a jamais été confronté à une pareille situation… Nous non plus, d’ailleurs.
— Sur ce point, je suis d’accord. Vous savez ce qui me fait le plus peur ? lança-t-il soudain.
— Quoi donc ?
— La manière dont chaque meurtre est mis en scène pour que nous constations que l’assassin est plus malin que nous. Il nous présente ses victimes comme autant de trophées. Yarington, mame Bunce, Lockley. Ces trois meurtres ont été commis depuis notre entrée en lice.
— En effet. Il a tenté de m’empêcher d’agir en s’attaquant d’abord à Tamasin et ensuite à moi. Mais quand cette tentative a échoué il a décidé, comme tu l’as dit, de nous montrer… qu’à malin, malin et demi.
— Mais pourquoi ? Pourquoi donc ?
— Aucune idée. Peut-être cela fait-il partie de sa folie.
— Et maintenant, il nous fournit son adresse, dit Barak d’un ton incrédule. C’est en effet de la pure folie.
— Il nous a donné une adresse, pas forcément la sienne. Je ne suis toujours pas convaincu que Goddard soit le meurtrier. Nul doute qu’il eût été connu des membres des sectes. Ils auraient au moins su à quoi il ressemblait, notamment à cause du gros grain de beauté qui est censé le défigurer… Je me pose constamment la même question, soupirai-je : qui d’autre pourrait être l’assassin ? Tu sais, j’ai même envisagé l’hypothèse que ce pourrait être Piers », m’esclaffai-je, une note d’hystérie dans la voix.
Il secoua la tête. « Vu le temps que passe le meurtrier à élaborer sa stratégie, comment Piers pourrait-il s’y prendre, tout en travaillant pour Guy du matin au soir ? Et Piers n’est lié à aucun groupe religieux. A-t-il d’ailleurs la moindre religion ?
— C’est vrai. C’est une idée démente. J’en suis arrivé au point où je m’accroche au moindre indice.
— Parce que vous ne pensez vraiment pas que c’est Goddard ?
— Je n’en suis simplement pas persuadé. » Je poussai un petit gémissement, une nouvelle petite secousse des rênes ayant ravivé ma douleur au bras.
« Ça va ?
— Oui. Une légère douleur au bras. Et j’ai froid.
— Le soleil brille à nouveau.
— Je sais. Mais, en ce moment, j’ai presque tout le temps froid. »
Barak et moi prîmes le chemin de la maison de Guy un peu après trois heures et demie. Les apothicaires travaillaient dans leurs échoppes à Bucklersbury. Par la vitrine de l’officine contiguë à
Weitere Kostenlose Bücher