Prophétie
esprit. Et même avec les fous on peut parfois utiliser la raison et le bon sens.
— C’est la méthode que semble employer Ellen avec Cissy, la vieille femme que nous avons vue dans le parloir. Elle s’efforce de la faire sortir de son monde intérieur et de la ramener dans le monde réel en l’occupant à un travail de couture élémentaire.
— Oui. On peut aider le mélancolique en chassant les pensées sombres de son esprit et en le ramenant de force dans le quotidien.
— Le meurtrier de Roger souffrirait-il d’une forme de folie ? qui le pousserait à tuer avec une telle brutalité et sans mobile apparent ? » Deux fois, pensai-je, à part moi, sachant que cela risquait d’être dangereux pour nous deux si j’enfreignais l’ordre de Cranmer de ne pas parler à Guy du Dr Gurney.
« C’est possible. Sauf si messire Elliard a commis quelque action susceptible de déclencher une telle vengeance, mais, après l’avoir rencontré, cela me semble peu probable.
— Absolument impossible, même. » Il y a cependant une question que je peux poser à Guy, pensai-je soudain. J’avalai une gorgée de vin, puis demandai : « Guy, vous avez dit que certains des infirmiers des monastères utilisaient du papaver. Connaîtriez-vous des infirmiers des monastères londoniens qui auraient pu s’en servir ?
— Je ne les connaissais pas, Matthew. N’oubliez pas que je n’ai quitté le Sussex pour venir à Londres que lorsque mon monastère a été dissous. Vous pensez aux moines qui ont perdu la tête quand on les a expulsés de leurs monastères ?
— C’est bien ça.
— Alors je dois vous dire que les bénédictins étaient quasiment les seuls à utiliser le papaver. À Londres, le seul établissement bénédictin à avoir une infirmerie était l’abbaye de Westminster. Mais comme je l’ai déjà dit, son usage n’a rien de secret.
— Son bon usage professionnel ?
— Un grand nombre de guérisseurs doivent toujours s’en servir. » Je voyais bien que Guy trouvait à la fois déplaisante et inconcevable l’hypothèse que le meurtrier puisse être un ancien moine.
« Le principal ingrédient en est l’opium, n’est-ce pas ? Il faudrait donc cultiver des pavots. L’utilisateur, quel qu’il soit, doit donc avoir un jardin.
— Soit. Mais beaucoup cultivent des pavots dans leur jardin rien que pour leur vive couleur. Et moi je les fais pousser dans mon jardin d’herbes aromatiques pour fabriquer de l’opium. »
Je regrettai de ne pouvoir lui dire qu’il ne s’agissait pas seulement de trouver quelqu’un ayant eu une raison d’assassiner Roger. À nouveau, j’espérai ardemment que Barak et Harsnet avaient réussi à l’attraper.
« Comment va Mme Elliard ? demanda Guy.
— Elle a beaucoup de chagrin.
— Vous l’aimez beaucoup.
— Elle a toujours été mon amie.
— C’est une femme courageuse, me semble-t-il.
— Oui, c’est tout à fait vrai. » Hélas ! je ne peux pas non plus révéler à Dorothy toutes les facettes du dossier, pensai-je, contrarié.
« Il faut que j’y aille, dis-je. Guy, je vous remercie d’avoir vu Adam. Je vais organiser une seconde visite ainsi qu’une entrevue avec ses parents. Assisterez-vous à l’audience de la Cour, la semaine prochaine, et témoignerez-vous sur son état mental en demandant qu’on le garde à Bedlam pour le moment ?
— Oui. Puis-je emmener Piers ? » Devant mon regard surpris il expliqua : « Je veux qu’il voie tous les aspects du travail médical. Je sais bien qu’il n’est qu’un apprenti apothicaire, mais il est très intelligent. J’envisage de le parrainer pour qu’il étudie la médecine.
— En auriez-vous les moyens ?
— Ce ne sera pas facile, mais mes revenus augmentent depuis que j’ai été accepté comme médecin et je reçois toujours ma pension d’ancien moine. Les pauvres bien doués ne méritent-ils pas de trouver des parrains, des protecteurs ? » lança-t-il avec un regard de défi.
J’étais sidéré. Cela constituerait une énorme dépense pour Guy. Je soutins son regard, me rendant compte, à ma grande honte, que j’étais jaloux. J’étais depuis longtemps le seul ami de Guy.
Je pris le chemin du retour en toute hâte. Les rues étaient très animées, car on était proche du couvre-feu. Barak m’attendait. Il était entrain, avec une serviette, d’essuyer ses cheveux qui, comme ses vêtements, étaient tout trempés. Skelly
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