Qui étaient nos ancêtres ?
stratégique pour notre homme et pour ceux de ses fils qui allaient lui succéder sur sa terre. Cette brochette de parents fermiers, cabaretiers, maréchaux-ferrants ou sacristains réunira les positions les plus stratégiques du monde agricole d’alors, positions qui sont aussi ces lieux d’échanges et de rencontres, où nos agents familiaux pourront glaner ou répercuter toute information utile : le voisin qui veut vendre sa jument, le bourgeois à la recherche d’un bon troupeau pour son métayer, le châtelain en quête de régisseur…
Le laboureur, le marchand étaient volontiers ambitieux. Son rêve était de placer un de ses rejetons chez le notaire, qui était le moteur essentiel des rouages économiques, en ce que toutes les tractations importantes passaient par lui. Aucune terre, aucune régie de ferme ne changeait de mains sans qu’il ait été appelé à instrumenter. Pour le paysan comme pour le commerçant et l’artisan, le notaire incarne donc la réussite sociale. Malheureusement, pour apprendre ce métier, il faut savoir lire et écrire, ce que notre laboureur lui-même est souvent loin de faire. S’il sait compter et à peu près lire, il n’a souvent pas dépassé, en écriture, le stade de la signature malhabilement tracée à l’aide de lettres-bâtons. À la campagne, le savoir reste avant tout celui des gens d’Église, et c’est là qu’intervient un personnage essentiel dans ce processus d’ascension sociale : le curé. Chaque fois qu’il le pourra, le laboureur va offrir un de ses fils à l’Église. C’est là un sacrifice auquel l’a justement préparé son curé, s’il a remarqué les dons que semblait présenter l’un des enfants – sacrifice qui ressemble beaucoup à un investissement.
Une fois vicaire, ou mieux curé pourvu d’une cure, le fils de notre laboureur va en effet presque toujours exercer son ministère dans les environs. Dès lors, il devenait simple, pour lui, d’user de ses relations ou de son influence sur quelque bourgeois vieillissant ou quelque rentière dévote pour faire obtenir à un sien parent un nouveau bail à un prix intéressant, de profiter de la mauvaise conscience d’un commerçant pécheur pour favoriser telle ou telle affaire, d’aider tel de ses frères cadets à faire un beau mariage, ou de le placer en apprentissage chez le notaire du bourg voisin. Mieux, si ses jeunes frères étaient illettrés, il allait souvent se charger de leur éducation. À tous points de vue, un curé dans la famille est une pièce maîtresse sur l’échiquier de la réussite. Il est l’incontestable promoteur, l’accélérateur de la plupart des progressions sociales.
C’est grâce aux efforts conjugués d’un de ces curés et d’un laboureur devenu marchand que la plupart des familles ont pu, sous l’Ancien Régime, transformer leur essai d’ascension sociale. Aux générations suivantes, tout devenait alors possible à qui savait poursuivre sur la voie tracée. La prochaine étape était celle des professions qui pouvaient être exercées dans le chef-lieu voisin : huissier, procureur, mais surtout notaire. C’est cette voie que choisit en 1688 Jean Monge, marchand à Die, lorsqu’il place son fils en apprentissage chez le procureur Pierre Gueymar. C’est celle de l’accès à la vie bourgeoise, la fréquentation d’un monde plus lettré et influent, avec lequel on s’alliait pour voir ses enfants embrasser la profession d’avocat.
Apprentissage et nourrissage
Le passage de la campagne à la ville et de la paysannerie au monde des affaires se faisait souvent par le biais de l’artisanat.
Les paysans plaçaient leurs fils en apprentissage, selon des contrats passés devant notaire, qui parlent souvent d’« accueillage » , puisque le maître va non seulement apprendre à l’adolescent son métier, mais encore l’accueillir chez lui, en sa demeure, d’ou l’habitude, pour le jeune homme, d’offrir un cadeau à l’épouse de l’artisan, généralement un coupon d’étoffe ou des épingles, dont la valeur variait selon ses moyens. Ainsi, Charles Lestuillier, entrant en 1683 en apprentissage pour deux ans chez Hyacinthe Nicolas, toilier et tailleur d’habits à Bourges, dut payer à son entrée la somme de soixante livres, « plus dix livres d’épingles pour la femme de Nicolas, qui le reblanchira pendant tout ce temps ». En 1647, Étienne Gaillard, entrant comme clerc chez un notaire de la même ville,
Weitere Kostenlose Bücher