Qui étaient nos ancêtres ?
célibataires se voient donc plus ou moins condamnés à la marginalisation. On les trouve demi-errants, dans les villes, exerçant quelque modeste activité de revendeur ambulant, chevrier proposant du lait, marchand de balais, de marrons ou de peaux de lapin… Ils viennent souvent d’une région lointaine, comme le maçon creusois ou le pionnier du Velay qui n’a pas eu les moyens de regagner son pays, souvent à la suite d’un accident l’ayant rendu incapable de faire le trajet à pied. Isolé, et souvent qui plus est étranger : mille raisons empêchent le célibataire de s’intégrer.
Il n’est pas concevable qu’un homme reste veuf. Qui a eu sa femme emportée par une fièvre puerpérale à la suite d’une de ses couches annuelles doit se remarier. Lorsqu’il est seul, le veuf doit avoir une femme pour tenir son ménage. Le veuf ou la veuve épouse donc une veuve ou un veuf, et ils élèveront leurs enfants en commun, quitte à essayer, plus tard, de les marier entre eux. S’il vit au sein d’une des traditionnelles familles élargies, on préfère lui voir épouser un ou une célibataire, afin de rétablir l’équilibre des producteurs, sans augmenter pour autant le nombre des enfants à charge. Car le veuvage entraîne un déséquilibre domestique plus grave encore que celui provoqué par le célibat. Fréquemment nanti de quatre ou cinq enfants en bas âge, incapables d’assurer une part du travail du groupe des femmes, le veuf vaut au groupe un énorme surcroît de charges.
Les remariages, voire les troisièmes noces, sont donc rapides. Il en va évidemment de même pour la femme devenue veuve. On aboutit parfois à des remariages répétés, certains hommes pouvant avoir eu quatre, voire cinq épouses successives, ou à d’étonnantes unions en chaîne, impliquant cinq à six couples successifs, d’où des familles qui enflent et des situations familiales pour le moins complexes. Le cas de Nicolas Maillard, d’Haveluy, s’il reste exceptionnel, n’en est pas moins logique : ce garde de la seigneurie du lieu s’est, au cours du XVIII e siècle, marié cinq fois dont la dernière à l’âge de soixante-dix-neuf ans, et quatre de ses épouses étaient des veuves avec enfants. À Béré, en Loire-Atlantique, Matthieu Laurent convolera, lui, six fois entre 1669 et 1701, soit entre 26 et 58 ans, et sera, par ces six lits, père de quatorze enfants…
Un père de trente-huit enfants !
Avant que ne se répandent, à la fin du XVIII e siècle, les « funestes secrets » condamnés par l’Église, nos ancêtres appliquant l’Évangile « croissaient et multipliaient », au point que les démographes ont vu dans les habitudes de mariage tardif un ersatz pratique et efficace de planning familial.
Jusqu’au milieu du XIX e siècle, villageois, paysans, petits artisans – bref presque tous les ménages d’antan – ont donc engendré beaucoup d’enfants. Les paroissiennes de Crulai, petit village de l’Orne, entre 1680 et 1740, lorsqu’elles ne mouraient pas en couches, donnaient à peu près le jour (ce n’est là qu’une moyenne) à neuf ou dix enfants. Pour peu qu’un homme ayant perdu une première épouse en ait épousé une plus jeune, il pouvait donc facilement être le père d’une bonne douzaine d’enfants. Mais les femmes de Crulai, comme la plupart des paysannes de l’époque, allaitaient elles-mêmes leurs bébés et, de ce fait, passaient par des intervalles d’infertilité. À l’inverse, les bourgeoises de la région de L’Aigle ou d’Alençon, prenaient à la même époque l’habitude de placer leurs enfants en nourrice à la campagne, donnaient, de ce fait, couramment le jour à quinze ou seize enfants. Gabrielle Pomiers, fille de notaire corrézien est parfaitement représentative des contemporaines de son milieu : mariée à l’âge de seize ans à Jean Bondet, sieur de La Bernardie, bourgeois au Lonzac (âgé de 28 ans, veuf avec un enfant, qui décédera en 1796), elle se retrouvera seize fois grosse. Dans le Lot-et-Garonne, Catherine Longayrou, fille d’un négociant de Villeneuve-sur-Lot et mariée en 1771 à une relation d’affaires de son père, Claude Lamouroux, lui aussi négociant, mais à Agen, aura vingt-quatre grossesses et donnera le jour à dix-sept enfants, nés entre 1772 et 1800.
Ces chiffres ne constituent pas des records, et il en va de même pour les familles princières et souveraines. Au XIX e siècle, le duc Robert
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