Qui étaient nos ancêtres ?
l’argent est devenu en argot le blé, référence symbolique et imagée, alors qu’il ne devint que bien plus tard le pognon (peut être, a-t-on dit, en référence au nom du chef comptable des usines Schneider, au Creusot). Le fric dut son nom au fricot, le ragoût, plat unique qu’il permettait de se payer.
De toute manière, le bled, désignant autrefois toute céréale panifiable (orge, méteil, seigle…, et naturellement le froment, qui donnait le meilleur pain), était forcément une des valeurs économiques de référence. Si la Bourse avait existé, elle n’aurait eu que peu d’articles à son CAC 40, au nombre desquels le blé et le bœuf.
Si une partie de la France, au sud, continua longtemps à se contenter de l’araire, dépourvue de roues, l’autre utilisait la charrue que tirait, selon la lourdeur du sol, un attelage de bœufs, en Limousin, ou de chevaux, en Lorraine. L’animal de trait, et particulièrement le bœuf, producteur en même temps de viande et de cuir (et au surplus, quand c’était une vache, de lait) représentait donc une richesse considérable et ne pouvait qu’être considéré comme une référence économique. Il arrivait d’ailleurs souvent que les grosses dots soient versées en bétail : un laboureur offrant ainsi volontiers à sa fille qui se mariait une « vache et son suivant » (son veau), autrement dit de quoi assurer plusieurs années de lait, et un bœuf pour l’avenir, une fois que l’ affranchisseur (le castreur de bétail) aurait exercé son art.
Mais les redevances en nature, si elles subsistent plus ou moins, ont vite été doublées de taxes dont on doit s’acquitter en espèces, à commencer par les impôts. Chaque année, se procurer l’argent pour les payer et régler les éventuels loyers tient de la gageure. On ne peut guère trouver que celui que laisse la vente de quelques produits de la ferme à une foire, où tout est bénéfice, une fois réglés les droits d’étal, et les sommes – dérisoires – qu’ont versées le marchand pour une peau de lapin, un goret ou un poulet, prix dont on doit d’ailleurs le plus souvent compter la moitié au propriétaire. La journée de travail à l’extérieur (si peu payée soit-elle en espèces, du fait que l’on est presque toujours nourri) est une aubaine. Qui a des fils à envoyer en journée est riche. On en arrive presque à comprendre les parents des petits ramoneurs savoyards : en confiant leurs gamins à un de ces exploiteurs d’enfants, ils ont une bouche de moins à nourrir, et récupèrent par la même occasion quelques pièces pour s’acquitter de leurs charges. Comme les « prolétaires » du système marxiste, la plupart de nos ancêtres ne possèdent que leurs enfants, et ces enfants sont rapidement considérés comme source de profit. Le père, le plus souvent, ne laissera rien aux siens qui n’auront aucune somme à partager, soit aucune maille à partir , ce qui est parfaitement synonyme.
Partir en effet signifiait « couper en parts » et la maille était un demi-denier qui lui-même ne valait pas grand-chose…
Si les Harpagon collectionnent les cassettes dont ils portent sur eux la clé, les coffres des plus humbles, qui iront, à la moindre alerte, les mettre en lieu sûr au château ou à l’église, renferment des bas de laine qui ne resserrent le plus souvent que peu d’argent.
En Limousin, au XVIII e siècle, les filles vendent leurs cheveux aux agents des perruquiers de Limoges, afin de réunir les quelques sous de dot que leur parents sont souvent incapables de leur donner. Car une fois payé le collecteur de taille ou le décimateur, il ne reste rien et, pour peu que l’année ait été mauvaise, le paysan doit alors emprunter. La dépendance par rapport aux conditions météorologiques est dramatique : à la suite du calamiteux hiver de 1709, dans le Nord, le prix du blé sera multiplié par huit !
Voilà aussi pourquoi tant de paysans pratiquent un petit artisanat – filage ou tissage – en complément de leur activité. Il ne s’agit jamais de vivre, mais seulement de pouvoir survivre.
Voilà pourquoi, aussi, l’usure est fréquemment pratiquée par le gros laboureur, le marchand et toute personne ayant un peu d’argent. Pierre Le Bastard, laboureur aisé des Côtes-d’Armor et frère de curé, lorsqu’il dicte son testament en 1665, fait état de nombreuses créances dont les origines ne doivent pas être cherchées ailleurs.
Toute
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