Qui étaient nos ancêtres ?
par son pouvoir corrosif, arrive à triompher de tout ce qui est nocif, surtout lorsqu’on a soin de le jeter par-dessus son épaule droite. Qui se voit contraint de sortir la nuit de Saint-Walbruge prend donc soin d’en avoir sur soi, qu’il n’hésitera pas à jeter au visage du sorcier ou du puant , certain de le terrasser instantanément. Tout est interprété et devient symbolique : les gestes, les paroles, comme les objets. Le bébé qui, à sa naissance, conserve une partie de la membrane fœtale collée à son crâne est un marcou : il est « marqué », et ce fait d’être « né coiffé » est vu comme un présage de chance. Le jour des noces, les vessies remplies d’eau que l’on doit crever, la vaisselle que l’on brisera seront autant de gestes au symbolisme évident. Le jour de la Chandeleur, le cierge allumé est porté à l’étable, afin qu’il en coule quelques gouttes de cire sur le joug des bœufs. Le charbon éteint que l’on rapportera des feux de la Saint-Jean aura le pouvoir d’éloigner les orages, pouvoir qu’ont aussi – on l’a vu – certaines cloches. Au lavoir, les femmes observent et commentent ce que fait la chemise du malade lorsqu’elles l’immergent, et qui, selon qu’elle coule à pic ou surnage, annoncera la mort ou la guérison.
Tout est à la fois très simple et très logique. Ainsi, la femme ayant ses règles ne doit pas aller à la fontaine, de peur d’en polluer les eaux. Lorsque la mort est là, on arrête les sonnettes et les balanciers des horloges, on voile les glaces et les miroirs (quand on en a) afin que l’âme ne puisse y voir son reflet, on vide toute eau contenue dans les récipients – pour que l’âme ne s’y noie pas en étant tentée d’aller s’y laver de ses péchés –, on ôte parfois une tuile du toit pour qu’elle puisse gagner le ciel, on s’abstient enfin soigneusement de balayer, de crainte de la jeter avec la poussière. De cette mort, on ira encore informer les « mouches » (c’est-à-dire les abeilles) considérées comme susceptibles et pointilleuses à cause de leur dard, et pour qu’elles s’abstiennent elles aussi de sortir butiner durant le temps du deuil on nouera un voile noir au sommet de leur ruche.
Tout est source de crainte. Jurer le nom de Dieu est interdit. C’est commander Dieu : c’est blasphémer. Et si l’on n’ose pas, on l’a vu, prononcer celui du Diable, on se garde tout autant d’évoquer directement la mort, pour préférer dire de quelqu’un qu’il a « passé » – autrement dit « dans l’autre monde » – ou mieux, qu’il est trépassé…
De Morbleu à Sapristi
Dans toutes les sociétés primitives, le nom de Dieu appartenait au domaine de l’interdit, du sacré, et donc du secret. Ce nom n’aurait su être prononcé. Tout au plus pouvait-on le dessiner sur une peau de gazelle avec de l’encre de musc, de safran ou de rose…
Voilà pourquoi aucun dieu suprême n’a jamais eu de nom réel : Zeus vient du grec « dîos », signifiant tout bonnement « dieu » ; Jupiter, dei pater, père des dieux, et Râ, en Égypte, n’était que le nom du soleil. Wotan-Gottan, au Walhalla, et Allah chez les musulmans, sont autant de noms ne signifiant pareillement rien d’autre que « dieu »… Partout, on tourne en rond, jusqu’au dieu de Moïse qui, sur le mont Sinaï, se présente à lui comme « Celui qui est », en ne lui livrant que les quatre lettres du fameux tétragramme, dont les Hébreux ont fait Yahvé. Quatre lettres pourtant imprononçables, quatre lettres d’un nom ineffable…
Ce nom de Dieu, le mortel ne doit pas le connaître. Parce qu’à lui seul, il contient la puissance divine, parce qu’aussi, de façon générale, invoquer un nom est autrefois considéré comme une manière d’appeler à soi, d’envoûter, de dominer, de se substituer à celui qui le porte, c’est prétendre l’incarner, comme faisait le juge rendant la justice « au nom du roi », ou comme fera plus tard le commissaire de police agissant « au nom de la loi »… Invoquer le nom de Dieu reviendrait donc à lui intimer l’ordre de comparaître, et c’est là outrepasser le pouvoir humain : c’est blasphémer !
Cet interdit et cette crainte ancestrale d’évoquer le nom de Dieu feront condamner sévèrement celui qui les transgresse. Voilà pourquoi, au lieu de jurer par le corps, le sang ou le ventre de Dieu, nos ancêtres avaient pris
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