Raimond le Cathare
ville sur laquelle vous m’avez donné
des droits.
Simon de Montfort ne veut pas
abattre ses nouvelles possessions. La force du comté vient autant de l’étendue
de son territoire que de la grandeur de sa capitale. Toulouse produit des
richesses dans lesquelles il veut pouvoir indéfiniment puiser.
— Nous ne détruirons pas la
ville mais nous allons la désarmer et la déshabiller ! Nous ne
massacrerons pas les Toulousains mais nous allons les saigner !
Subjugué par la personnalité du conquérant,
le prince Louis, depuis son arrivée dans notre pays, subit l’ascendant de Simon
de Montfort. Il approuve aussitôt les décisions de son vassal.
— Que les Toulousains payent
immédiatement cent marcs d’argent à leur nouveau comte. Que les remparts et les
fortifications soient rasés dans les délais les plus brefs. Pour ce faire,
toute la population est requise. Nous voulons Toulouse nue et sans défense.
Sous la surveillance des sergents
français, du matin au soir, durant des semaines, les Toulousains vont détruire
ce que leurs ancêtres ont édifié depuis dix siècles. Donjons, chemins de ronde,
remparts, barbacanes, tout doit être abattu. Chaque jour, les habitants
démolissent des pans de murs de brique, arrachent les planches des lices,
démontent les charpentes, descellent les blocs de pierre et comblent les
fossés. Chaque famille doit envoyer au moins un de ses membres travailler sur
le chantier de destruction, sous peine d’être jetée dans les prisons d’un
château des environs.
Le vent s’engouffre dans les rues.
Les voleurs y pénètrent librement. Le soir, les bêtes sauvages viennent rôder
sous les fenêtres des premières maisons. Les rares hommes valides veillent
chaque nuit pour chasser les animaux et les pillards. Seul ouvrage préservé, le
château Narbonnais dresse ses murs au-dessus des toits. La forteresse, édifiée
pour protéger l’entrée de la ville, est aujourd’hui le siège de ceux qui la
dominent.
Barcelone, septembre 1215
Les trouver réunis, comme jadis, est
un réconfort. Il y a là le tonitruant Comte roux, Raimond Roger de Foix,
descendu de ses montagnes ; Hugues d’Alfaro, qui vit à Barcelone avec
Guillemette, mais que je n’avais pas revu depuis longtemps ; Raimond de
Rabastens, informé des dernières intrigues de la Curie.
Depuis Muret je ne voulais plus les
affronter. Leur présence était un rappel insupportable de tous mes échecs.
Aujourd’hui, elle affermit ma détermination. Pour les recevoir, délaissant les
confortables tuniques de lin, j’ai revêtu ma cotte de mailles afin de signifier
à mes visiteurs mon nouvel état d’esprit. Puisque la mort n’a pas voulu de moi,
je dois donner une utilité aux années de sursis accordées par Dieu. Je vais
résister en employant les dernières énergies de mon corps et les ultimes élans
de mon esprit. Devant mes compagnons, j’en fais le serment.
— Tant qu’il me restera un
souffle de vie, je me battrai !
La prochaine bataille aura lieu en
Italie, près de Rome, au Latran. Son issue ne se jouera pas à la pointe de
l’épée, mais à l’acuité du verbe. Le destin de mon pays sera scellé par le
tribunal qui tranche les affaires du ciel et de la terre, qui fixe les règles
du royaume spirituel et des royaumes temporels. Ce collège sera réuni et
présidé par l’homme le plus puissant ici-bas, le représentant de Dieu :
Innocent III.
— Le pape va mourir, et il le
sait.
Raimond de Rabastens, qui rentre
d’un séjour à Rome, nous dépeint tous les signes trahissant la maladie du
Saint-Père. Il ne survit que pour mener à bien son grand concile.
— Avant de quitter cette terre,
il veut y mettre bon ordre. Toute l’Église et tous les princes sont convoqués.
Les querelles dogmatiques, les conflits de dynastie, les contestations de
frontières, les affaires de l’Hérésie, le sort de la Terre sainte et de la
croisade : tout sera arbitré sous son autorité.
— Que dit-il de notre
affaire ?
— Il en parle rarement, mais il
est affligé. Il a longuement pleuré Pierre d’Aragon. C’était, de tous les
souverains chrétiens, celui qu’il aimait le plus. Au lendemain de Muret,
Foulques a adressé à Rome une lettre triomphante annonçant la victoire de
Montfort et la mort du « très méchant roi d’Aragon ». Le Saint-Père
ne lui a jamais répondu. À la lecture du message, il s’est borné à déplorer la
disparition du jeune souverain.
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