Raimond le Cathare
se desserre et qu’il s’écroule sur le
dallage.
L’incident retarde l’ouverture de la
séance. Nous avons le temps de nous regrouper et de prendre place, ensemble,
sur les premiers gradins. Sous la voûte, plus de deux mille personnes
s’entassent dans un désordre bruyant. Deux grandes tribunes ont été édifiées
face à face. Elles portent plusieurs étages de sièges alignés. Au milieu de la
basilique, le trône pontifical a été placé devant le maître-autel. Toute
l’Église romaine est là. Plus de quatre cents évêques, plus de huit cents abbés
et prieurs sont venus de partout. Du Danemark ou de Lisbonne, de Prague ou de
Dublin. L’Église d’Orient est également représentée par ses patriarches et
leurs évêques. Empereurs, rois et princes ont envoyé des ambassadeurs dûment
accrédités. Les consuls des villes libres ont également dépêché des
représentants. Ce douzième concile œcuménique de l’histoire de l’Église est
formé de l’assemblée la plus prestigieuse jamais réunie ici-bas.
D’un même mouvement, nous nous
levons pour saluer respectueusement l’entrée d’Innocent III. Après nous
avoir bénis, le pape prend place sur son siège blanc et nous invite à nous
rasseoir, il racle sa gorge et commence à nous parler d’une voix sourde.
— J’ai voulu vous réunir avant
de souffrir et de mourir ; certes, je préférerais demeurer dans la chair
jusqu’à l’achèvement de l’œuvre entreprise. Toutefois, que s’accomplisse la
volonté de Dieu. Je ne refuse pas le calice de la Passion s’il m’est tendu.
Le Saint-Père nous rappelle les
termes dans lesquels il a convoqué ce concile, il y a déjà plus de deux
ans : nous devons promouvoir la reconquête de la Terre sainte, réformer
l’Église, extirper les vices et planter les vertus, corriger les abus et
réformer les mœurs, supprimer les hérésies et fortifier la foi, apaiser les
discordes et affermir la paix, réprimer l’oppression et favoriser la liberté…
Je me penche à l’oreille de Raimond
Roger de Foix, assis à ma droite.
— C’est une vaste ambition pour
un homme à bout de forces !
À vrai dire, parmi toutes les
questions évoquées, seul m’intéresse le sort qui sera fait à mon pays. Nous
devons encore patienter trois jours.
Comment punir l’incontinence ou
l’ivrognerie des clercs ? Quelles règles fixer pour limiter le luxe des
vêtements et le raffinement de la table des dignitaires, pour assurer la
respectabilité de l’Église, pour corriger ses mœurs ? Toutes ces questions
vont occuper les premiers débats. Affectant une attitude respectueuse et
attentive, nous faisons taire notre impatience.
*
* *
C’est finalement le 14 novembre que
le pape ouvre la délibération dont la conclusion fixera notre destin. Avant
même de prendre la parole, il tend son bras dans la direction de mon fils. D’un
signe de la main, il fait venir vers lui Raimond le Jeune, qui se lève et
s’avance jusqu’au pied du trône.
Je n’en crois pas mes yeux. Pour m’assurer
que je ne suis pas victime d’une illusion, je regarde par-dessus l’épaule de
l’Anonyme les mots que trace sa plume sur le parchemin :
Le pape, à bras ouverts,
l’accueille et le bénit.
Jamais en vérité plus avenant
jeune homme
Ne lui fut présenté. Il est de
belle allure.
D’air sage et de sang pur :
Angleterre, Toulouse
Et France font en lui alliance
royale.
Le pape longuement contemple le
jeune homme.
Il connaît sa noblesse. Il sait
quels mauvais coups
Il a reçus des clercs acharnés à
sa perte.
Son cœur en est poigné de peine
et de pitié.
Un soupir sanglotant mouille ses
yeux de larmes.
Au prix d’un grand effort,
Innocent III se lève. Raimond le Jeune regagne son banc. Le pape prend la
parole.
— Les comtes toulousains ne
sont pas hérétiques. Ils sont bons catholiques. Ils n’ont pas mérité le mal que
l’on a fait à leur terre ancestrale.
Avec mon fils, nous échangeons un
regard plein d’espoir. Mais la phrase suivante anéantit nos illusions :
— Mais peut-on revenir sur un
accord conclu ? Certes non : le clergé ne l’accepterait pas. Le pays
appartient désormais à l’Église. Elle a chargé Montfort de son gouvernement.
C’est ainsi. Nul ne doit y trouver à redire.
Il n’en faut pas plus pour que
Raimond Roger de Foix entre en lice. Il se lève et se campe au milieu de la
nef, face au pape. Les jambes légèrement écartées comme
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