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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Elgin fut heurté par un bateau lourdement chargé de grumes et coula en un rien de temps. Aucun des trois cents passagers et hommes d'équipage ne survécut. À ce jour, on a repêché un certain nombre de corps, dont celui de mon gendre. Ann n'a pas été retrouvée et nous n'aurons même pas la consolation de lui donner une sépulture à New York. Vous imaginez notre chagrin et le désespoir de Lyne et d'Edna, mes autres filles. Mon fils Henry, qui se trouve actuellement au Canada, est encore dans l'ignorance de ce drame. »
     
    – Pauvre Jeffrey ! Combien nous sommes désemparés devant des morts si brutales. On a du mal à ne pas reprocher à Dieu de telles injustices quand elles nous touchent dans nos proches affections, alors que nous ne ressentons qu'une émotion volatile devant les milliers de morts qu'ont occasionnées les guerres européennes les plus récentes, dit lord Simon à Charles Desteyrac.
     
    Venu rendre compte de ses travaux, l'ingénieur fut le premier à connaître la triste nouvelle.
     
    – Gardez cela pour vous jusqu'à demain, je vous prie, lui demanda Cornfield.
     
    À la tombée de la nuit, lord Simon fit discrètement atteler et se rendit chez Tilloy. Sachant le lien qui avait un temps existé entre Mark et Ann, il ne voulait laisser à personne le soin d'apprendre à l'officier la mort de son éphémère fiancée.
     
    Ayant lu la lettre de Jeffrey, Mark Tilloy marcha vers la fenêtre de son bungalow, ouverte sur le crépuscule, et s'absorba un instant dans la contemplation de la Croix du Sud, constellation d'or sur le ciel indigo. C'est une attitude familière aux marins. En mer, ils ne font qu'aux étoiles confidence de leurs secrètes émotions. Quand il revint à son visiteur, l'officier avait recouvré son calme.
     
    – Ann était un feu follet. Elle aimait par-dessus tout la vie, la danse et les jeux de l'amour. Tendre, généreuse et versatile, elle offrait d'un même élan son corps et son cœur, et reprenait l'un et l'autre de la même façon. Elle mettait dans ses actes et ses paroles une franchise déroutante. Au contraire des puritaines qui voient partout le mal, elle ne le voyait nulle part. Ann m'a dit dans un moment d'abandon : « Je n'ai pas le sens du péché. » N'était-ce pas la meilleure définition de l'innocence d'Ève ? dit Mark.
     
    Lord Simon approuva d'un signe de tête et prit congé, son devoir accompli.
     

    Si le courrier expédié de New York ne mettait qu'une dizaine de jours pour atteindre Soledad, celui venu de France, via la Grande-Bretagne et les États-Unis, ne parvenait à son destinataire bahamien qu'en cinq ou six semaines.
     
    Le 2 de chaque mois appareillait de Southampton, pour les États-Unis, la malle d'Amérique. Le courrier de France devait être posté à Paris, pour l'Angleterre, le 28 du mois précédent avec la suscription «  Steamer Southampton  ». Trié à New York, il était alors envoyé à Nassau par le premier navire de commerce en partance pour les Bahamas. De Nassau, le bateau-poste le distribuait dans les Out Islands, ainsi que les citadins nommaient les îles autres que New Providence, capitale de l'archipel. C'était donc avec plus d'un mois de retard, quelquefois deux, que Charles Desteyrac savait, par ses rares correspondants, ce qui se passait en France.
     
    À l'automne, une lettre de son ami Fouquet lui apprit que Napoléon III venait d'augmenter le territoire national de la Savoie et du comté de Nice. « Et ce, précisait Fouquet, avec le plein assentiment des Savoyards qui, par plébiscite, se sont prononcés, par 135 449 voix contre 255, pour le rattachement à la France ; 25 743 Niçois contre 160 ont, eux aussi, accepté de devenir français. »
     
    – Voilà qui doit faire grand plaisir à votre mère, commenta Ounca Lou, un rien caustique.
     
    – Son admiration pour l'empereur va s'accroître d'autant de ferveur que la France d'hectares ! plaisanta Charles sans insister.
     
    Une autre lettre, livrée le même jour par le bateau-poste, laissa Charles perplexe. Robert Lowell prévoyait sous quinzaine l'arrivée à Wilmington de la locomotive et des wagons tant attendus à Soledad. Aussitôt prévenus, Mark Tilloy et Lewis Colson ne cachèrent pas qu'ils eussent préféré l'annonce d'un nouveau retard. Les ouragans qui sévissaient habituellement entre juillet et novembre ne s'étaient pas encore manifestés.
     
    – Jusque-là, nous n'avons eu que des orages

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