Robin
la
cour, à prier à voix haute. Il priait toujours lorsque, quelques instants plus
tard, le sénéchal du comte Falkes vint le chercher. « Mon seigneur va vous
recevoir, lui dit-il avant de rebrousser chemin. Immédiatement. »
Asaph suivit le sénéchal jusqu’à la
porte de la grande salle, dans laquelle il fut introduit. De Braose était assis
dans son fauteuil habituel à proximité de l’âtre. Le baron Neufmarché se tenait
un peu en retrait. Continuant tranquillement à discuter avec ses propres
hommes, il ne parut prêter aucune attention à l’évêque. « Pax vobiscum, dit l’homme d’église en faisant le signe de la croix.
— Oui ? Oui ? fit le
comte, comme irrité par la démonstration de piété de son visiteur. Allez-y.
Comme vous pouvez le voir, je suis occupé. J’ai des hôtes importants.
— Je serai bref, répliqua
l’évêque. En deux mots, la population a faim. Vous ne pouvez pas les faire
travailler toute la journée sans leur procurer de nourriture s’ils ne peuvent
se sustenter par eux-mêmes. »
Le comte de Braose considéra un
moment l’ecclésiastique, les lèvres tordues de déplaisir. « Mon cher
évêque, répondit-il au bout d’un moment, votre plainte confuse est infondée.
— Je ne crois pas, objecta
Asaph. C’est la stricte vérité. »
Le comte leva une longue main
languissante et tendit un doigt. « Pour commencer, dit-il, si vos gens ont
faim, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes : je ne les ai pas forcés
à abandonner leurs terres et leurs récoltes. Ce n’est que la conséquence
logique de leur propre choix, comme nous l’avons déjà établi. » Un second
doigt vint rejoindre le premier. « Ensuite, ce n’est pas…
— Je vous demande
pardon », l’interrompit Neufmarché en s’avançant. Il se détourna de ses
chevaliers pour s’adresser directement au comte. « Je n’ai pas pu
m’empêcher d’entendre votre conversation, mais j’ai cru comprendre que vous
faisiez travailler vos sujets pour votre compte sans les nourrir ?
— C’est un fait, déclara
l’évêque. Il a réduit en esclavage l’intégralité de la vallée et ne pourvoit à
aucun besoin de la population.
— En esclavage, grogna le
comte. Vous osez utiliser ce terme ? C’est juste une regrettable
situation, corrigea Falkes en se tournant vers Neufmarché. Vous chargez-vous de
nourrir tous vos sujets, baron ?
— Non, pas tous, juste ceux
qui me servent bien. Le bœuf ou le cheval qui tire une charrue ou un chariot
est nourri – de même que tout homme travaillant pour moi. »
De Braose, de plus en plus mal à
l’aise, eut un mouvement convulsif. « Fort bien, concéda-t-il, mais nous
parlons ici d’une situation qu’eux-mêmes ont rendue fâcheuse. C’est sans doute
une dure leçon, mais ils vont quand même l’apprendre. Je dirige ce commot à
présent, ajouta-t-il en faisant à nouveau face à l’évêque, et plus vite ils
l’accepteront, mieux ce sera.
— Et qui allez-vous diriger,
demanda le baron, si vos sujets sont morts de faim ? » Après s’être
avancé de quelques pas en direction de l’évêque, il lui adressa un petit salut
de déférence. « Je suis le baron Neufmarché, et je suis prêt à vous
fournir du grain, de la viande et d’autres vivres si cela doit vous aider dans
les circonstances présentes.
— Au nom de mon peuple, je
vous remercie, sire », dit l’évêque, en évitant soigneusement de parler de
leur discussion. « Nos prières de délivrance ont été entendues.
— Quoi ? protesta le
comte. Et je n’aurais rien à dire à ce propos ?
— Bien sûr que si, convint
Neufmarché. Jamais je ne m’immiscerais dans les affaires d’un autre seigneur
dans son royaume. Mon offre n’est qu’un geste de bonne volonté. Si vous
préférez puiser dans vos propres réserves pour leur donner du grain, je
respecterai bien évidemment votre décision. »
Les mains jointes en une prière
silencieuse, l’évêque tourna des yeux pleins d’espoir en direction du comte,
attendant sa réponse.
Hésitant, Falkes tapotait de ses
longs doigts les accoudoirs de son fauteuil. « Il est vrai que les
entrepôts sont presque vides et que nous allons devoir les remplir très
prochainement. Aussi, dit-il en se décidant, vais-je accepter votre offre
généreuse, Neufmarché.
— Formidable ! s’écria le
baron. Considérons cela comme le premier pas sur la route qui nous mènera vers
une
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