Robin
saillait comme deux pointes de flèches jumelles. Ses joues
étaient creuses. Un semblant de vitalité ne l’animait que lorsqu’elle
desserrait un peu ses lèvres pour sourire.
Neufmarché et sa femme furent
accueillis par une jeune femme brune – leur fille, dame Sybil – qui
semblait plus jeune que Mérian de quelques années. Elle affichait une
expression d’ennui distant qui proclamait au monde tout le dédain que
l’assemblée lui inspirait et, à n’en point douter, le fait qu’on lui avait
imposé d’assister au banquet. Derrière elle s’affairait tout un essaim de
serviteurs qui portaient des plats couverts de petites miches de pain blanc.
D’autres domestiques en livrée cramoisie leur faisaient suite, tirant un
tonneau de vin sur un petit chariot ; d’autres encore transportaient des
barils de bière. Enfin, deux aides cuisiniers apportaient un gigantesque
tranchoir en bois au centre duquel trônait une grande roue de fromage blanc
entourée d’oignons saumurés et d’olives en provenance du sud de la France.
Les serviteurs entreprirent un lent
tour de pièce pour permettre aux hôtes de se servir des olives et du fromage.
Mérian porta son attention sur les
autres invités. Il y avait plusieurs jeunes dames de son âge, toutes ffreincs.
Pour autant qu’elle puisse en juger, elle était la seule Bretonne. Les jeunes
femmes, rassemblées tel un petit troupeau, lançaient des regards narquois
par-dessus leurs épaules ; quant à elle, personne ne semblait la
remarquer. Mérian s’était résignée à se contenter de la compagnie de sa mère
quand deux damoiselles s’approchèrent.
« Paix et joie en cette
journée », lui dit une des jeunes femmes, à l’évidence la plus âgée. Elle
avait un visage ovale et un cou gracile, ses cheveux raides étaient longs, si
clairs qu’ils en paraissaient presque blancs, et aussi fins que des fils de
soie. Elle portait une robe vert brillant assez simple confectionnée dans une
matière que Mérian n’avait jamais vue auparavant.
« Que Dieu vous bénisse toutes
deux, répondit-elle poliment.
— Je vous en prie, laissez-moi
faire les présentations, dit la jeune femme avec un fort accent latin. Je m’appelle
Cécile, et… (se tournant à moitié, elle désigna la damoiselle brune à ses
côtés)… voici ma sœur, Thérèse.
— Je m’appelle Mérian,
répondit-elle à son tour. Enchantée de faire votre connaissance. Vous êtes en
Angleterre depuis longtemps ?
— Non*, répondit la
jeune femme. Nous venons d’arriver de Beauvais avec notre famille. Mon père va
diriger les troupes du baron.
— Comment trouvez-vous notre
contrée ?
— Agréable, dit l’aînée.
Vraiment très agréable.
— Et pas aussi pluvieuse que
nous le craignions », ajouta Thérèse. Aussi brune que sa sœur était
blonde, elle avait de grands yeux noisette et une petite bouche rose ;
plus petite que Cécile, elle arborait un joli visage aux joues pleines.
« On nous a dit qu’il n’arrêtait pas de pleuvoir en Angleterre, mais c’est
inexact. Il n’a plu qu’une seule fois depuis notre arrivée. » Sa robe
était de la même matière brillante que celle de sa sœur, mais d’une couleur
bleu marine. Elle aussi portait un voile en dentelle jaune.
« Vivez-vous à Hereford ?
demanda Cécile.
— Non, mon père est le
seigneur Cadwgan d’Eiwas. »
Les deux jeunes étrangères se
regardèrent. Aucune d’elles ne savait où cela pouvait se trouver.
« C’est juste au-delà des
Marches, expliqua Mérian. Un petit cantref au nord-ouest d’ici, près d’un
endroit que les Anglais appellent Ering, et les Ffreincs Archenfield.
— Vous êtes
galloise ! » s’exclama l’aînée. Les deux sœurs échangèrent un regard
émoustillé. « Nous n’avions jamais rencontré de Gallois. »
Mérian s’irrita de leurs paroles
mais ignora l’affront. « Bretonne, les reprit-elle sur un ton badin.
— Les Marches*, dit
Thérèse (sa petite voix avait une intonation presque mélodieuse que Mérian
jugeait inexplicablement attachante). Elles s’étendent au-delà de la grande
forêt, c’est bien ça ?
— Exactement, confirma Mérian.
Caer Rhodl, la forteresse de mon père, est à cinq journées de voyage d’ici, en
passant par la forêt.
— Mais vous avez entendu
parler de…» Elle s’interrompit, ne trouvant pas le mot approprié.
« L’hanter* ? proposa
l’aînée.
— Oui,
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