Romandie
danseuses, caracolait à
Hyde Park, fréquentait le Carlton Club, s’habillait comme un dandy et mûrissait
des complots. S’inspirant du conseil légué par sa mère, de ne se dévoiler « qu’à
l’heure opportune », il attendait l’occasion de réussir ce qu’il avait
raté à Strasbourg, en 1836. Apprenant que Louis-Philippe autorisait le retour
en France du corps de l’empereur mort à Sainte-Hélène, il s’écria, assurèrent
plus tard les informateurs anglais de Blaise de Fontsalte : « Ce ne
sont pas seulement les cendres, ce sont les idées de Napoléon qu’il faut
ramener. » Or, ces idées-là étaient développées dans un ouvrage que Louis
Napoléon avait publié l’année précédente sous le titre Des idées napoléoniennes. Quand on sut que le prince de Joinville, troisième fils de Louis-Philippe, irait,
à bord de la frégate la Belle Poule, recueillir à Sainte-Hélène le
cercueil du grand homme, le fils d’Hortense imagina d’armer un navire et d’arraisonner,
en pleine mer, la frégate corbillard afin de s’emparer de la dépouille de son
oncle ! Des gens sages le convainquirent de n’en rien faire et, dès lors, Louis
Napoléon ne se préoccupa plus que de prendre le pouvoir en France, pour
accueillir l’empereur, mission prestigieuse qu’on ne pouvait laisser à
Louis-Philippe.
C’est pourquoi, au cours de la nuit du 5 au 6 août, le
prince, accompagné de ses complices habituels, dont Persigny, Parquin, Laborde,
Montholon et le docteur Conneau, d’une petite troupe qui s’était procuré, à
Londres, une aigle enchaînée, représentation vivante de la foi impériale, avait
traversé la Manche à bord d’un vapeur anglais et débarqué sur la plage de Wimereux.
De là, on avait marché sur Boulogne, après un salut ému à la colonne de la
Grande Armée, sur laquelle les royalistes avaient eu l’outrecuidance de
remplacer la statue de Napoléon regardant l’Angleterre par un boule surmontée d’une
fleur de lys !
Comme autrefois à Strasbourg, il s’agissait de soulever la
garnison, d’ameuter la population et de marcher sur Paris, pour bouter hors de
ses palais la monarchie louis-philipparde. Mais les soldats du 42 e régiment
de ligne, cantonné à Boulogne, ne s’étaient pas plus laissé convaincre que ceux
du 46 e de régiment de ligne de Strasbourg, six ans plus tôt !
Le prince, tireur approximatif, avait blessé d’une balle de pistolet, destinée
au capitaine Col-Puygelier, le simple grenadier Geoffroy ! Arrêté sans ménagement,
il avait été conduit sous bonne escorte à Paris. Les mille fusils achetés à
Birmingham n’avaient même pas été débarqués !
Quand Blaise de Fontsalte et son ami Ribeyre apprirent, par
la presse, cette échauffourée bouffonne, ils furent consternés. Depuis l’affaire
de Strasbourg, les deux généraux restaient sourds à tous les appels que les
partisans de Louis Napoléon lançaient périodiquement aux anciens officiers d’Empire
ayant assumé des responsabilités particulières dans les services de
renseignements. Néanmoins, les deux amis, contrairement aux détracteurs du
prince, tenaient le fils d’Hortense pour un homme intelligent, résolu et courageux.
Par leurs informateurs, les généraux surent bientôt que le
complot avait été connu de Guizot, ambassadeur de France à Londres, et que le
débarquement de Wimereux n’avait pris personne au dépourvu. La presse anglaise
ridiculisait l’expédition bonapartiste et son promoteur, que le Sun conseillait,
non sans grossièreté, de mettre en pension dans un asile d’aliénés [138] !
Conduit à la forteresse de Ham, le prince n’en sortit que
pour comparaître, le 28 septembre, à Paris, devant la Chambre des pairs, qui
le condamna, le 6 octobre, à la prison perpétuelle, tandis que ses
complices Montholon, Lombard, Parquin et Persigny se voyaient infliger vingt
ans de réclusion. Le docteur Conneau s’en tirait avec cinq ans de la même peine
et, honneur insigne, était admis à purger sa condamnation au fort de Ham, en
compagnie du prince.
— Mon Dieu, la prison à vie ! Quelle cruauté
désespérante, pour un homme de trente-deux ans, dit Charlotte, émue, en
apprenant par la Gazette de Lausanne l’épilogue judiciaire d’une équipée
qui amusait toutes les cours d’Europe.
— Pour les princes, ma chère, la perpétuité ne dure
jamais très longtemps, dit Ribeyre de Béran.
— Il est certain que nous
Weitere Kostenlose Bücher