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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Versailles, s’était disloqué, avant
de dérailler à Bellevue. Du fait de l’affluence, deux locomotives avaient été
attelées pour tirer le convoi. Alors que le train roulait à pleine vitesse, un
essieu de la locomotive de tête s’était brutalement rompu, entraînant le
déraillement de la machine. La seconde locomotive avait escaladé la première
tandis que, par suite de l’arrêt brutal, dix-huit wagons de bois venaient s’écraser
contre le tender. Les cinq premiers, empilés les uns sur les autres, démantelés,
brisés comme coques de noix, avaient aussitôt pris feu. Les premiers témoins
accourus décrivirent des scènes hallucinantes, les pompes manquant d’eau pour éteindre
l’incendie, d’où jaillissaient, en hurlant, des torches vivantes qui s’abattaient
sur les talus. Le bilan officiel était de cinquante-cinq morts et cent un
blessés mais on le disait inférieur à la réalité. Parmi les victimes se
trouvait l’amiral Dumont d’Urville, le marin qui avait ramené en France les
restes de Lapérouse et découvert, en 1840, la terre Adélie.
    Aricie avait, depuis longtemps, fait le siège d’Élise pour
lui faire partager son horreur des trains. Les deux femmes furent les premières
à proclamer qu’on ne les ferait jamais monter dans un wagon de chemin de fer.
    — Depuis qu’en 1837, l’ingénieur William Fraisse a
décrété qu’il serait plus économique d’établir un chemin de fer entre le lac de
Neuchâtel et le lac Léman, plutôt que de remettre en état le vieux canal d’Entreroches,
on nous rappelle périodiquement que le train facilite les communications et les
échanges commerciaux. Il faut espérer que les autorités vaudoises ne se
laisseront pas circonvenir par les commerçants et que le projet de M. Fraisse
sera oublié, dit M me  Métaz.
    — Ce qui vient d’arriver en France va leur donner à
réfléchir ! ajouta Aricie.
    Charlotte et Flora, qui avaient déjà voyagé en chemin de fer,
trouvaient fort timorées les deux opposantes mais, étant donné l’ampleur de la
tragédie ferroviaire française, elles s’abstinrent de toute réplique.
    — Reprendriez-vous le train, maintenant ? demanda,
provocante, Élise à sa belle-mère.
    — Oui.
    — Quand vous irez à Fontsalte, prendrez-vous le train, de
Lyon à Saint-Etienne ? ajouta Aricie, affinant la provocation.
    — Je le prendrais demain, sans hésitation ni crainte. Et
je le prendrai sans doute lors de notre prochain voyage. Je prie saint Christophe
et je vais rassurée, dit Charlotte en montrant la médaille d’or qui
tintinnabulait au milieu de quelques autres, attachées à son sautoir.
    — Saint Christophe n’est pas mécanicien ! On dit
que ceux du train qui a déraillé étaient anglais, comme leurs machines. Ce qu’il
y avait de mieux, en somme ! Et l’on voit le résultat ! répliqua M me  Métaz.
    — Je suis sûre que le Seigneur est contre les chemins
de fer, manifestation mécanique de la vanité humaine, assena Aricie, sans un
sourire.
     
    Au cours d’un été particulièrement pluvieux, les journaux
apportèrent, avec une macabre régularité, leur lot de tristes nouvelles.
    Ce fut, d’abord, le 25 juin – deux semaines après
que les citoyens de Genève eurent adopté la nouvelle Constitution démocratique,
qui assurait l’indépendance communale et l’extension du suffrage universel –,
la mort, à Chêne, de Charles de Sismondi, à l’âge de soixante-neuf ans. Depuis
des années, le philosophe, déçu par l’évolution politique de la République et
la montée du radicalisme, souffrait d’une affection de l’estomac. Il accusait
la cuisine anglaise, dont des « soupes qui sont tantôt de la colle forte, tantôt
quelque farine bouillie dans de l’eau sans beurre, des légumes bouillis sans
accommodement, semblent inventés pour triompher de l’estomac le plus robuste ».
Le sien n’y avait, semble-t-il, pas résisté. Alliée à la contrariété quotidienne
que provoquaient, chez un homme qui avait combattu la Constitution adoptée par
le peuple, les nouvelles politiques de sa ville, l’affection rapportée d’Angleterre
l’avait achevé, disaient ses amis.
    Sismondi qui, quelques jours avant sa mort, corrigeait
encore les épreuves de son Histoire des Français, léguait aux Européens
une œuvre considérable. Ami de M me  de Staël, qu’il avait
accompagnée en Italie, il laissait aussi le souvenir d’un érudit attentif à

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