Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
Vom Netzwerk:
Albert Duloy.
    Bien que retraité, cet homme infatigable présidait le
consistoire local et se dévouait aux œuvres de la paroisse. Il revenait, cette
nuit-là, d’une visite au pasteur de Corseaux, rescapé de l’épidémie de dysenterie.
    Généreux, dénué de vanité et considérant tous les humains
comme enfants de Dieu, M. Duloy, dont les catholiques eussent fait un
saint, rejoignit l’artisan, lui confia sa lanterne et, des deux mains, avec
précaution, écarta le tissu grossier qui, au dire du découvreur, dissimulait un
vagabond vindicatif.
    — Venez, relevez-vous. Vous êtes ici en danger d’être
emporté par la rivière. Et vous allez attraper la mort, dans ces chiffons
mouillés ! Qui que vous soyez, montrez-vous sans crainte. On vous aidera.
    La voix du vieux pasteur dut paraître rassurante car la tête
ébouriffée émergea, puis deux mains, sales mais fines, et un buste de femme, serré
dans un châle troué.
    — Laissez-moi tranquille ! J’veux rien. J’me
repose. Je fais pas de mal. Passez votre chemin.
    La femme s’exprimait en français correct mais avec un
bizarre accent qui n’était pas d’un canton suisse.
    L’épouse du tanneur, inquiète de l’absence prolongée de son
mari, avait réveillé l’apprenti et tous deux, munis de lanternes, apparurent à
leur tour sur la berge.
    — Tu vas pas passer la nuit dehors, non ! cria la
femme à son mari.
    Puis, ayant reconnu le pasteur Duloy, elle se radoucit :
    — Ben, qu’avez-vous trouvé ? Un noyé ?
    — Non. Une pauvresse, qui fera certes une noyée si nous
ne l’enlevons pas d’ici.
    La gaillarde aux hanches rebondies, qui régentait la
maisonnée, mari et apprenti compris, avec des rudesses de garde-chiourme, se
pencha sur la femme en maugréant.
    Un éclair percutant le lac illumina soudain la scène d’un
halo bleu. La voûte du pont, tel un antre satanique, absorba le grondement
amorti du tonnerre, et le crépitement de la grêle redoubla. La femme du tanneur,
comme beaucoup de gens simples, croyait aux esprits malfaisants et aux servants [55] rancuniers. Elle vit dans la colère du ciel une manifestation surnaturelle, un
avertissement, une menace. La femme qui gisait à ses pieds dans ses guenilles
ne pouvait être qu’une sorcière en rupture de ban. La foudre et le déluge n’étaient-ils
pas au service des fées malintentionnées ? La vieille qui, autrefois, avait
anéanti l’alpage du Plan-Névé, parce que deux bergers lui refusaient un bol de
lait, ne s’était-elle pas servie des éléments pour couvrir à jamais ce gras pâturage
d’un linceul de glace ?
    — C’est encore une de ces voleuses de poules ! s’écria
la femme du tanneur, en reculant. Une bohémienne jeteuse de sorts, une ces
bougresses qui disent la bonne aventure pendant que leurs vauriens d’enfants
vous volent la bourse. Celle-là est pleine de vermine ! Allez, n’y touchez
pas, monsieur le Pasteur, peut-être bien qu’elle vous donnerait ce nouveau
choléra qu’on nous cache sous un autre nom !
    Hors de la présence de l’ecclésiastique, la superstitieuse
eût convaincu son mari de pousser la malheureuse à l’eau en souhaitant qu’elle
se noyât.
    — Voyons, voyons, soyons charitable, dit le pasteur, avec
un peu d’humeur. Si cette pauvresse avait un toit, comme vous et moi, elle ne
viendrait pas s’abriter sous le pont par un temps pareil ! Il faut l’aider,
ajouta-t-il en saisissant la main de l’inconnue qui marmonna quelques mots dans
une langue incompréhensible.
    — Tiens ! C’est une Jenisch [56] je vous dis. Si
vous comprenez pas ce qu’elle dit, c’est exprès. C’est le jenisch qu’elle parle.
Y a qu’à l’envoyer à la place à feu [57] qu’est au-delà de
La Tour-de-Peilz. Sûr qu’elle y trouvera d’autres gitans comme elle, reprit la
femme, sans se démonter et tremblante d’indignation parce que le vieux pasteur
prenait le parti de la vagabonde.
    Celle-ci ne se laissa pas impressionner, se mit péniblement
debout et saisit le bras que le pasteur lui offrait. Débarrassée de ses chiffons,
elle apparut d’une maigreur squelettique. Son visage, sans être d’une femme
âgée, paraissait strié de rides, ses lèvres gercées ne pouvaient sourire, elle
ne parvenait pas à réprimer un tremblement de tout le corps. La fièvre rendait
son regard noir, étrangement irisé de reflets d’escarboucle, intense et brillant.
    La femme du tanneur se détourna et tira son mari par

Weitere Kostenlose Bücher