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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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la
manche.
    — Rentrons chez nous. Laisse faire le pasteur, dit-elle
à voix basse.
    L’artisan obtempéra tandis que son apprenti et M. Duloy
aidaient la femme à gravir le talus de la berge. L’inconnue serrait contre elle
une sorte de sabretache de cuir fatigué qui, estima le pasteur, devait contenir
tout son bien.
    — Je dois aller chez Métaz, oui, Axou, Axou Métaz, le
vigneron. C’est là que je dois aller, vite, insista-t-elle d’une voix exténuée,
dès qu’elle fut sur la chaussée.
    — Vous connaissez M. Métaz, Axel Métaz… vous ?
demanda le pasteur incrédule.
    Qu’une vagabonde connût les Métaz avait déjà de quoi surprendre
un bourgeois veveysan, mais que l’errante usât d’un diminutif inédit et un peu niais
pour désigner un aussi notable paroissien lui parut tout simplement extravagant.
    — Conduisez-moi, je vous en prie, implora la femme en
serrant le bras du pasteur.
    — Mais il a sonné douze, ma pauvre fille, et M. Métaz
ne vous recevra pas en pleine nuit ! dit M. Duloy.
    L’inconnue s’impatienta et, abandonnant l’appui du pasteur, fit
trois pas chancelants.
    — Dites-moi où est la maison de Métaz, j’irai seule, en
rampant s’il le faut ! dit-elle, rageuse.
    — Bien. Allons. Mais je vous pose devant la grille de
Rive-Reine et, après, vous verrez ce que vous aurez à faire. Je vous conseille
cependant d’attendre le jour pour vous présenter. Ce n’est pas une heure
chrétienne pour faire des visites… surtout en pareil accoutrement, dit le
pasteur, résigné.
    Aussitôt, l’étrange couple se mit en route sous la bruine
glacée qui succédait à la grêle. Appuyée à M. Duloy, traînant la jambe et
gémissant comme si chaque pas lui coûtait un effort surhumain, la femme
répondit de façon laconique aux interrogations du pasteur, maintenant persuadé
qu’il n’avait pas affaire à une errante ordinaire. Elle arrivait d’une terre
lointaine, dont elle refusa de dire le nom et usait ses dernières forces pour
atteindre Vevey, où elle n’était jamais venue, afin d’obtenir de M. Métaz
une réponse à une question qui la préoccupait. Tant de mystère intriguait le
pasteur et, n’eussent été les convenances, il eût réveillé les gens de
Rive-Reine pour satisfaire sa curiosité. Le couple venait de s’engager dans la
rue du Sauveur quand, à quelques pas de la demeure des Métaz, vint à sa
rencontre un cabriolet pourvu de deux fortes lanternes. À la vue des noctambules –
une femme apparemment épaulée avec tendresse par un homme – le conducteur
arrêta son cheval et mit la tête à la portière. M. Duloy identifia
aussitôt le docteur Vuippens. Le médecin lui parut enjoué et, comme souvent, légèrement
gris.
    — Ah ça, monsieur le Pasteur, à cette heure dans les
rues ! Et en galante compagnie ! Mais comptez sur ma discrétion, s’écria
Louis, égrillard, en reconnaissant M. Duloy.
    — J’ai passé l’âge des galanteries, mon bon Louis, et
cette personne a sans doute plus besoin de vos soins que des miens. Nous l’avons
trouvée sous le pont de la Veveyse. Elle dit venir de fort loin pour voir M. Métaz.
    — Je veux le voir, grogna la femme.
    Vuippens sauta du cabriolet, décrocha une des lanternes et
éclaira de près le visage de la vagabonde qui cligna en proférant quelque insulte.
    — Le moment est plutôt mal choisi, ma belle, pour voir M. Métaz.
Son épouse vient de lui donner un fils et…
    — … Un fils ! Un fils ! C’est l’enfant d’Adriana !
C’est l’enfant d’Axou. C’est le chérubin au regard vairon, quel bonheur ! s’écria
l’inconnue.
    Abandonnant l’appui du pasteur et prise d’une frénésie
effrayante, elle se mit à danser sur le pavé gluant, en frappant sa soubretache
de la paume comme s’il se fût agi d’un tambourin.
    — Pauvre folle ! lâcha le pasteur, atterré.
    — Il se pourrait qu’elle le soit ! dit vivement
Vuippens.
    Dégrisé, maître de lui, il saisit sans ménagement la
danseuse à bras-le-corps pour arrêter son tournoiement délirant. Étant au fait
des relations d’Axel avec sa défunte demi-sœur Adriana, troublé par l’allusion
de la folle à l’œil vairon des Fontsalte, il redoutait, sans en imaginer la
nature exacte, quelque révélation scandaleuse.
    — Aidez-moi à la mettre dans mon cabriolet. Je me
charge d’elle. Et pas un mot à quiconque, dit Vuippens au pasteur.
    Ils n’eurent aucune peine à hisser

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